icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Fureur

L'odeur de l'acier froid lui prit la gorge lorsqu'il se réveilla. Jamais il ne s'habituerait à ce lieu sans vie.

Comme chaque matin, maintenant depuis dix ans, il se redressa sur son lit. Le ma­telas à eau émit un gargouillement désagréable. Il s'étira et commença à préparer mentalement le programme de sa journée. Son regard se posa sur le terminal occupant le coin gauche de la cellule. Il avait presque oublié le bruit de la ven­tilation basse gamme. Il y avait un message de l'administration du pénitencier pla­nétaire.

Un rictus de dédain étira ses lèvres pour la folie des peuples qui habitaient, gouvernaient et exploitaient des millions de planètes ; ils avaient consacré leurs sciences à l'aménagement de l'une d'elles en gigantesque prison pour les délin­quants de toutes les espèces de l'univers.

Il s'approcha de la machine qui n'était pour lui qu'une concession à la com­mu­ni­ca­tion. Il tapa rapidement son code d'accès et le formulaire administratif sortit silen­cieusement de l'imprimante. L'administration l'avertissait qu'en fin d'après-midi, il ren­contrerait un représentant de la Cour.

La fin de la journée était l'un des moments les plus difficiles pour lui. Levé tôt com­me tous les matins, il avait pris la navette pour rejoindre son bureau dans la station orbitale du pénitencier.

Le travail de juge n'était pas de tout repos et il avait horreur des Schirs. Or il venait de passer deux heures affublé d'un appareillage respiratoire spécial en compagnie d'un de ces monstres de poil à dents longues qui ne consomment qu'un mélange d'oxygène et de soufre gazeux. Son masque trop grand pour lui, il avait perçu cette odeur d'œuf pourri pendant toute la durée des babillages du monstre.

– Voyons voir le dossier suivant ; ah celui-là respire de l'air comme tout le monde.

Il tapa deux ou trois touches sur son clavier pour savoir où se trouvait son futur interlocuteur. Il était en chemin avec l'une des seules navettes affectée à l'aller et retour avec la planète prison.

La cabine s'illumina d'un rouge vif et le signal de l'avarie grave lui vrilla les tym­pans. Il se leva de sa couchette et se précipita dans la cabine de pilotage. Le maître ordinateur avait commencé les recherches pour localiser la panne.

En quelques secondes, il découvrit que la centrale d'orientation spatiale avait subi une importante surcharge laquelle avait endommagé les circuits de données mémoriels. Il vérifia qu'il avait le module en stock. Il fallut deux secondes à l'ordi­na­teur pour lui fournir les références d'agencement dans le compartiment des piè­ces détachées.

La réparation effectuée, il rechercha la plus proche base pour faire vérifier son appareil, ne pouvant pas continuer à parcourir l'espace avec un engin qui risquait de se perdre dans l'espace à la première accélération. Il situa rapidement la base orbitale de la planète prison.


Les gardes robots étaient venus le chercher comme prévu en fin d'après midi. Les vibrations de la navette qui le transportait lui rappelaient son vieux bolide de course sur sa patrie natale quand il était jeune et encore libre.

Il suivit l'accostage de la base par le hublot qui se trouvait à sa droite. Escorté par les gardes robots, il pénétra dans le hall de la station. Les gardiens allaient prendre la direction du département judiciaire quand le sol se souleva devant lui. Dans un mouvement désordonné, ses gardes essayaient de tourner autour de lui pour éviter toute tentative de fuite.

Mais une nouvelle secousse contraria les projets des calculateurs et facilita ceux du détenu qui fonça à toute allure vers le sas d'amarrage. A sa grande surprise, la tête d'un vaisseau spatial trouait littéralement l'une des parois de la station. Les systèmes de survie essayaient d'éviter toute fuite d'oxygène en répandant de la mousse qui se solidifiait immédiatement. Il prit son élan et s'accrocha à l'un des bar­reaux de l'échelle conduisant à un sas de l'appareil.

Il appuya sur le bouton d'ouverture, la porte s'entrouvrit à moitié dans un grin­ce­ment de tôle. En quelques secondes, il était à l'intérieur. La première pièce était le poste de pilotage ; sur le sol, le corps d'un homme gisait, une rigole de sang rouge serpentait sur le plastacier. Il s'approcha du maître ordinateur dans l'intention de voir s'il pourrait tirer quelque chose de cet engin.

L'ordinateur avait commencé les réparations depuis longtemps et il ne lui fallut qu'une minute pour se dégager de la station. D'un mouvement brusque, il actionna les propulseurs principaux et poussa un cri d'espoir en se projetant vers la liberté.

Cela faisait à peine deux heures qu'il voyageait au delà de la vitesse de la lumière quand une fulgurante décélération le plaqua contre l'un des murs de la cabine. Le même message s'inscrivait sur tous les moniteurs : « Perte des données de locali­sation... ».

En quelques mots, l'ordinateur le prévenait qu'il était perdu dans l'espace sans espoir de retour vers la civilisation qu'il connaissait. Après tout, cela ne lui faisait pas grand chose, mais quand il découvrit qu'il n'était qu'à quelques minutes d'une planète apparemment habitée, il s'en rapprocha avec hésitation.

Au bout de deux jours, il fut convaincu qu'il pouvait refaire sa vie en ce lieu ; d'ail­leurs, avait-il le choix ? Le vaisseau commençait à tomber en morceaux. Il choisit un territoire au centre d'un continent et, après avoir assimilé le langage du pays, choisit une victime.

Cela fut facile : le rayon tracteur arracha sans problème l'être qu'il avait repéré. L'or­di­na­teur médical reconstitua ses traits pour que les deux physiques soient iden­tiques. Alors que son sosie dormait, il se fit déposer au milieu d'un champ en pleine nuit.

Puis, il regarda filer le dernier souvenir de son passé, lequel, lorsqu'il fut suffi­sam­ment éloigné de la planète, explosa créant momentanément une nouvelle étoile.

Pour la première fois, il marcha dans cette herbe, ses nouveaux vêtements lui frot­tant doucement la peau. Il sortit les papiers d'identité de la personne qu'il allait maintenant remplacer et essaya de prononcer dans sa nouvelle langue le nom qu'il allait désormais porter. Tout haut, il articula :

– Aaaaadluf huuulaar.

A la troisième tentative, il put proférer correctement :

– Adolf Hitler.

Inspirant à fond, il se dit qu'il allait faire de grandes choses sur cette planète...

Michel GRANGER & Pierre YAILIAN

Publié in Dimanche Saône & Loire du 13 janvier 1991.
Dernière mise à jour : 26 décembre 2010.


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