icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Cali

Depuis que son père lui avait apporté Cali, Gilles ne s'intéressait plus à ses jouets ; il délaissait ses camarades, il ne participait plus à aucun de leurs jeux, pas même au jeu de l’exploration au cours duquel il s'était si souvent évadé en rêve vers des planètes inconnues, avait combattu des ennemis imaginaires, avait triomphé de tout.
Pourtant, un mois plus tôt encore, Gilles adorait ce divertissement qu'il vivait avec plus de frénésie qu'aucun de ses petits amis puisque c'était alors son unique espoir d'enfant qu'il nourrissait ainsi : celui de faire un jour comme papa...

Carle père de Gilles était cosmonaute, un cosmonaute qui ne partait dans l'espace qu'avec la mission d'explorer les mondes nouveaux, inconnus, parfois hostiles.

Et Gilles voulait depuis toujours devenir cosmonaute ! Lorsque son père était de retour sur Terre, il l'écoutait pendant des heures raconter ses aventures et ses yeux brillaient d'émerveillement comme des étoiles, de plaisir et d'envie tandis que son cœur s'accélérait dans les joies et les appréhensions qui l'assaillaient.

Son père lui rapportait souvent des souvenirs des planètes qu'il découvrait : c'étaient des cadeaux insolites et étranges qui donnaient à la chambre de Gilles un air de mystère propice aux grands écarts d'imagination. Mais le plus beau de tous ces cadeaux venant des confins de la galaxie, c'était sans nul doute Cali.

Il y avait une semaine qu'il l'avait à lui et déjà, Gilles ne pouvait plus s'en séparer ; Cali était devenu son compagnon le plus intime, celui qui partageait tous ses loisirs, celui à qui, en confidences, il racontait tous ses projets.
Il faut préciser que Cali n'avait rien d'un simple jouet ni d'un objet. Il était apparemment un habitant de la planète Start ! Le père de Gilles et les autres cosmonautes de l'expédition en avaient ramené plusieurs afin de percer leur mystère. Ces êtres n'avaient pas, semblait-il, souffert du voyage et continuaient à vivre aussi parfaitement sur la Terre que sur leur planète. Le père de Gilles lui avait offert un de ces énigmatiques Startiens et Gilles l'avait baptisé Cali.

Cali était haut de cinquante centimètres environ parce qu'il était plus ou moins extensible. A l'une des extrémités de son corps cylindrique, il y avait une tête très ronde éclairée par deux yeux d'un vert très lumineux. Pour se déplacer, il sautillait en prenant appui sur le bas de son tronc qui, vraisemblablement, lui servait de pied. Sa couleur était indéfinissable, plutôt d'un marron très foncé, mais changeant. Ainsi, sa teinte passait-elle du rouge vif quand il reposait sur son coussin écarlate au vert bouteille lorsqu'il s'ébattait dans l'herbe. Le marron, c'était pour les moments de sommeil.
Formé d'une matière caoutchouteuse plastique, le petit Startien pouvait s'étirer d'une façon étonnante, se transformant en une carpette tiède de deux mètres de long et un de large. On ne savait pas très bien à quoi rimait cette transformation soudaine, généralement très éphémère. Mais là n'était pas la seule énigme biologique posée par les Startiens !
On ignorait également comment Cali et tous les siens se nourrissaient ; en fait, personne ne les avait jamais vus absorber quoi que ce soit. Peut-être l'air leur suffisait-il ? Autre mystère : Cali semblait comprendre parfaitement le langage humain alors que l'on ne savait même pas s'il disposait d'ouïe pour entendre. Enfin cela arrangeait bien Gilles qui lui parlait comme à un camarade et ne se posait pas de question dès que la petite créature lui obéissait.
Toute la journée, ils couraient ensemble dans la forêt ou parmi les rues de la cité ; on ne voyait nulle part l'enfant sans son petit compagnon. Ils étaient inséparables. Même la nuit les voyaient s'endormir pelotonnés l'un contre l'autre. Cali dormait-il, au sens terrien du terme ? On n'aurait pu le dire mais il restait sagement immobile, les yeux fixes mais ouverts. Quand Gilles s'éveillait, Cali s'animait. Les deux êtres vivaient en symbiose parfaite malgré les différences physiologiques qui les distinguaient.

Ce que Cali semblait apprécier le plus, c'était courir dans les bois ou plutôt rebondir sur la mousse. Ainsi se déplaçait-il à une vitesse que Gilles avait de la peine à égaler avec ses petites jambes. L'enfant et le Startien inventaient des jeux captivants et le temps s'écoulait à une vitesse vertigineuse. Chaque mercredi après-midi, dans l'intermède scolaire, ils partaient tous les deux en promenade et Gilles n'avait de cesse de faire partager à son ami les fantaisies de son imagination débordante et qui n'étaient pas sans rapport avec la profession de son père. Ainsi, se trouvaient-ils tantôt sur une planète dévastée par des géants hideux, tantôt devaient-ils se défendre contre des monstres heureusement maladroits ; ou bien, d'autres fois, sauvaient-ils des créatures pitoyables persécutées par de cruels ennemis que Gilles et Cali n'avaient aucune peine à pourfendre étant donné les extraordinaires moyens d'attaque du petit Startien. En vérité, Cali paraissait s'adapter à toutes les situations rocambolesques nées dans l'esprit fertile d'un jeune fils de cosmonaute...
Depuis que Gilles vivait avec Cali, aucune ombre n'avait assombri leur amitié.

C'était l'été. Les vacances. La liberté ! Une étouffante canicule régnait sur le pays... Mais Gilles ne s'en souciait guère et il entraînait son compagnon à l'ombre des pins. Un jour où le soleil était particulièrement brûlant, un jour où Gilles et Cali étaient perdus en rêve sur un océan irrité et écumant, un jour où la vie était si bonne à vivre, le feu prit soudain dans la forêt.
Et Gilles et Cali jouaient toujours, insouciants du danger qui les menaçaient, eux qui se figuraient naufragés sur un frêle esquif battu par une mer de plus en plus menaçante.
Le feu avançait à leur rencontre, mangeant tout sur son passage et transformant tout en fumée qu'un vent fort rabattait mais pas assez bas pour alerter les petits inconscients. Pourtant toute la faune, prise de panique, fuyait mais ni Gilles ni Cali ne remarquaient ces brusques passages d'animaux effrayés tant ils étaient absorbés par la situation imaginaire qu'ils vivaient...

En ville, on avait détecté la fumée et on se précipitait.
Soudain Gilles émergea de son rêve et aussitôt il perçu l'haleine brûlante de l'incendie qui venait vers eux. Il voulut retourner vers la maison. Mais le feu bouchait le chemin. Déjà la fumée le faisait tousser, lui piquait les yeux.
Les pompiers alertés mettaient leur matériel en batterie mais arriveraient-ils à temps?
Gilles se sentit perdu, comme si, inconsciemment, il savait que ni lui, ni Cali ne pourraient sortir de la fournaise. Il pensait à sa maman. A son père, voyageant dans un autre système solaire et ignorant du drame qui se jouait. Jamais, au grand jamais, Gilles ne serait cosmonaute...
Et puis, tout à coup, Cali s'étira, s'étira démesurément. Il s'enroula autour de Gilles, constituant en quelque sorte un écran protecteur ; le feu était déjà là et il lécha sans pitié cette matière indéfinie qui résistait, résistait.
Combien de temps restèrent-ils ainsi tous les deux ? Une heure peut-être, une heure durant laquelle les pompiers parvinrent à circonscrire le sinistre et à maîtriser les flammes. Une heure pendant laquelle Gilles ne cessa de grelotter... de peur.

Quand le feu eut abdiqué, Gilles était indemne et une vague joyeuse le submergea :
– Cali, mon Cali, nous sommes sauvés ! Tu m'as sauvé !
La petite créature, elle aussi était intacte. Son corps cependant ne pouvait se rétracter. Certes, elle avait parfaitement résisté à la chaleur intense mais elle ne pouvait le faire qu'une seule fois. Un dernier regard tragique des yeux verts se posa sur Gilles et lentement, lentement, Cali se mit à fondre, se liquéfia, disparut...
Lorsque les sauveteurs parvinrent jusqu'à Gilles, ils ne trouvèrent qu'un petit garçon pleurant auprès d'une minuscule flaque qu'allaient rejoindre les grosses larmes qui coulaient de ses yeux effarés
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Michel GRANGER & Jacques CARLES

Version courte : 1972
Cette version longue : Le Courrier de Saône & Loire Dimanche du 10 janvier 1988.
Dernière mise à jour : 30 janvier 2017

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