icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Mon oncle Bretin

Mon "oncle" Marc Bretin (1905-1995), qui n'est, semble-t-il, plus connu que par de rares enseignants radicaux, était le fils de la sœur de ma grand-mère maternelle. Du temps de leur jeunesse, il fut un grand ami de ma mère et de son frère décédé trop tôt à 19 ans.

Il avait fait carrière dans l'enseignement et avait été professeur de latin en Algérie, à Blida et Constantine. Mes parents étaient allés le voir là-bas avant ma naissance et avaient rapportés de ce voyage expéditionnaire quelques pièces régionales (vases, plateau, table de jeu, etc.) que j'ai toujours chez moi, sauf ce que j’ai donné et vendu.

Lycée Duveyrier de Blida, 5ème classique 1953-1954

Sans enfant avec ma tante Simone, il exerçait la profession de principal du Lycée d'Arbois, dans le Jura dans les années 1960. Adolescent, j'allais passer quelques jours en été chez eux pendant les vacances et je garde des souvenirs enchantés de ce dépaysement familial si rare en ces temps-là. Dépaysement aussi bien local qu’intellectuel car il était écrivain contrairement à mes parents.

De ses écrits, me reste un exposé qu’il avait présenté au 2ème Congrès Algérien de la Libre Pensée et qui fut publié en 1939 aux Editions de l’Idée Libre (La Documentation Antireligieuse, n° 72) ; il y attaquait violemment le mys­ti­cisme et le considérait comme « pathologique ». Il écrivait : « La nouvelle religion sera un socialisme désintéressé, au sens le plus large du mot. ». Une religion sans Dieu.

Et, plus loin : « Aidons les instituteurs et ne permettons pas qu’on attente à l’école laïque. Si vous voulez savoir tout le travail accompli par les instituteurs laïques, regardez simplement les efforts faits contre eux par l’église et vous serez convaincus. ». Ce qui lui avait valu un grand respect de la part de certains enseignants dont ma mère – je crois – qui était institutrice.

Il écrivait aussi des pièces de théâtre qui, hélas, ne furent jamais jouées, ni éditées. Je ne sais pas pourquoi car il se disait avoir des appuis dans l'édition sinon dans la politique. Il semble que, malgré cela, il eut beaucoup de mal à diffuser ses écrits manuscrits.

Dans les années 1980, il publia un livre à La Pensée Universelle intitulé Saâda justement sur l'Algérie. Cet ouvrage est qualifié de « très bel ouvrage » par Pierre Devesa, directeur d’école dans l’Ain et un des signataires, en 2008, de l’Appel à la résistance citoyenne contre le fichage des enfants, et à la Désobéissance pédagogique, en 2009, dans le cadre de l’opération Sauvons l’Ecole Publique, suite aux réformes du gouvernement de l’époque. Un slogan qui aurait certainement convenu à mon oncle.

A sa mort, d'autres parents à moi du côté de ma mère prirent grand soin de sa veuve... Si bien que je ne sais ce que sont devenus ses manuscrits.

Il figure sur une liste de Pieds-Noirs célèbres (ici).

Michel GRANGER
8 mars 2016.

Le fameux principe d’Archimède

Archimède était dans son bain
depuis bientôt une heure,
et sa belle servante au noir gousset qui fleure
le traitait de lambin.
« Allons, maître, que faites-vous,
l’œil ainsi vague et puéril,
plongé dans l’eau jusqu’au nombril
et dans les calculs jusqu’au cou ?
C’est bon pour une courtisane
de laisser mariner son beau corps épuisé,
comme l’œuf à la neige en la crême enfoncé,
ou le rond de citron flottant sur la tisane.
Allons, ne faites pas d’histoire
et sortez de cette baignoire.
Se savonner de trop use la peau...
et puis je me fatigue à charrier tant d’eau...
---
Je ne puis pas tout faire ici,
la vaisselle, le feu, la cuisine et le lit,
toute seule avec vous, sans personne qui m’aide...
Voulez-vous bien sortir, oui ou non, Archimède ?
---
O dieux, qu’il est têtu !
Mais écoute-moi donc Archie.
A te vautrer ainsi dans l’anarchie,
où crois-tu aboutir ? enfin qu’espères-tu ?...
---
Tu vas tout simplement t'enrhumer,
prendre froid, te morfondre
et moi, au lumignon sans cesse rallumé,
les yeux tout larmoyants par peur de les confondre,
je passerai ma nuit à doser les remèdes.
Vraiment tu veux sortir, oui ou non, Archimède ?
---
Tu ne m'écoutes pas, évidemment.
Monsieur se croit d'airain, de bois de teck, de marbre.
Eh bien ! moi je prétends que, dans trop d'eau, les arbres
au lieu de se durcir, s'étiolent mollement.
Et je peux affirmer qu'au moment de la sieste
tout gorgé d'eau, ton instrument,
au lieu d'exécuter l'hymne d'amour céleste,
canardera lugubrement.
Pourtant tu l'aimes bien, l'amoureux intermède...
Vraiment tu veux sortir, oui ou non, Archi...
                                                                   – Mède !
– OOOh !...
« Quel manque affreux d'éducation !
cria, dans son indignation,
l'odorante servante mède,
Tu vivras donc toujours sans principe, Archimède ! »

Marc BRETIN
Anthologie Poètes de notre temps, 1984.


© Michel Moutet, 2017
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