icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Réunion en Agartha sidéral

Cette nuit du 2 janvier 1989, un léger brouillard avait envahi les environs de la Maison Blanche. Pour la deuxième année consécutive, il n'avait pas neigé sur Washington. Les réverbères vieille époque émettaient un halo blanc surnaturel autour des nombreux arbres. C'est donc à l'abri de tous les regards que, dans quel­ques instants, un passager extraordinaire allait embarquer pour une direction qui aurait surpris plus d'une personne. On entendit le léger crissement des graviers de l'allée, une succession de petits pas, puis un faible sifflement, Quelques minutes après, ce fugace événement, le calme était rétabli.

– Bienvenue à bord, Sinope, de la part du commandant.

Le nouveau venu examina attentivement le membre d'équipage chargé de son accueil pendant que celui-ci le conduisait à ses quartiers. Il ne le quitta du regard que lorsque la porte de la chambre fut refermée sur lui, le laissant seul. Une fois assis sur le lit, il s'étira et dégagea la table de commande du terminal. L'écran de visualisation se développa dans l'espace restreint de la chambre. Le sigle des Sinopes apparut devant lui en rouge vif et commença à tourner autour d'un axe imaginaire ; l'ordinateur demandait son identification. Quelques secondes suffirent, l'hologramme changea et commença alors la première partie de son travail ; durant le temps du voyage vers la périphérie du système solaire, il devait faire un compte-rendu de sa mission sur Terre. Le petit vaisseau spatial aux formes étranges sur­vo­la sans se faire remarquer la Mare Nectoris lunaire et continua son accélération.

Partout sur la Terre sans discrimination, entre le 1er et le 2 janvier, des vaisseaux embarquèrent discrètement leur passager. En tout, sur deux jours, plus de cinq cents navettes de petites tailles pénétrèrent l'espace terrien.

La transmission holographique des manœuvres d'accostage, lui permirent d'admi­rer sous tous les angles, l'un des plus grands bâtiments de l'Empire Galactique. Il traversa rapidement le hall du petit statioport et suivit les indications qui le con­dui­sirent vers la zone d'habitation. La caste des Sinopes était l'une des plus vieilles ; elle était chargée d'amener les habitants d'une planète à un niveau acceptable pour permettre leur intégration à la société multigalactique. Le schéma était le même de­puis des millénaires : deux espèces Sinopes étaient chargées du travail de prépa­ra­tion et défendaient devant les Sages, tous les cinq cents ans, les résultats de leur mission. Pour le dossier Terre, les C'ta et les D'go avaient été sélectionnés.

Dans l'une des grandes salles de l'astronef, les sièges de la cour des Sages avaient été disposés. Les holocaméras étaient en place et déjà des missionnaires Sinopes s'installaient. En quelques minutes, le local fut rempli et les Sages firent leur entrée, très solennelle. En direct, l'un des journalistes rappela, en un bref résumé, aux spectateurs de sa chaîne, l'histoire de la découverte de la planète Terre et de ses habitants ; comment depuis quinze mille ans, les Sinopes essayent de faire évoluer socialement et technologiquement les humains, mais il insista sur­tout sur les derniers événements. Les deux chefs de délégations pénétrèrent en mê­me temps, côte à côte, symbole de leur union retrouvée pour cette cause com­mune.

Le représentant des C'ta voulut prendre la parole, mais l'un des Sages le stoppa d'un geste et se pencha en avant pour mieux les voir.

– Tiens, tiens, mais ne serait-ce pas nos deux belligérants ? Les deux respon­sa­bles de ce qui aurait pu être une catastrophe pour le projet Terre. Les instigateurs de la guerre froide entre les deux grandes puissances terriennes. On m'a appris que la raison vous était revenue, j'espère que cela durera.

Content de son effet, le W'zi, membre d'une des plus anciennes races de l'univers réputée pour sa nature provocatrice, se recula dans son fauteuil et fit signe de continuer. Les autres Sages n'avaient pas bronché, peut-être avaient-ils jugé inévi­ta­ble et opportun ce rappel douloureux pour les deux jeunes espèces.
Le C'ta s'avança vers la tribune tandis que les holocaméras étaient braquées sur lui. En de multiples images, les dernières années de son séjour sur Terre lui revinrent à l'esprit. Effectivement depuis vingt ans, avait commencé un travail de fond qui devrait permettre, dans quelques années, comme l'espéraient les C'ta et les D'go, une nouvelle orientation de la population.

– Sages, nous avons tenu compte de vos remarques et nous nous sommes rat­ta­chés à vos objectifs, ainsi que peuvent le démontrer nos actions passées ; nous avons, nous C'ta et D'go, mis en œuvre un grand plan qui vise à réunir les deux grandes nations de Terre. L'ouverture de l'une vers l'autre va permettre un rééqui­li­brage technologique et un bouleversement psychologique. Nous pensons ainsi don­ner impulsion à une plate-forme d'évolution possible vers ce que l'on nomme sur Terre le Tiers Monde et l'Asie. Toutes les estimations nous poussent à croire, et cela a été confirmé par les analystes Sinopes, que, dans 100 ans, la Terre sera prête pour le Contact Premium. C'est pourquoi, nous, C'ta et D'go, demandons que la présente séance soit reportée à dans cent ans terrestres.

Selon les espèces, les Sages avaient des mimiques différentes, mais toutes expri­maient la surprise.

Les divers journalistes présents qui avaient cru voir en cette réunion un événement important mais en aucun cas extraordinaire, commencèrent à penser que, proba­ble­ment, l'ensemble de l'univers allait se tourner vers ce lieu radicalement petit que les petits hommes appelaient la Voie Lactée.

En quelques secondes, la session fut suspendue ; les Sages se retirèrent en comi­té de réflexion.

L'ensemble des moyens énergétiques disponibles furent tout à coup dérivés vers les canaux de communication : les Sages devaient prendre des contacts avec leurs frères.

Les deux représentants furent convoqués en assemblée restreinte. La porte était assiégée par les journalistes, les holocaméras de studio avaient fait place aux appareils de grand reportage. Tous étaient là quand un porte-parole donna compte rendu et résultats.

– Nous, Sages, avons décidés d'un commun accord avec nos frères, et pour la troisième fois de l'histoire de notre société, d'accorder un délai de cinquante ans. Les espèces C'ta et D'go devront accroître leur effort.

Les Sages s'étaient de la sorte prononcés en une résolution sans appel. Les dé­parts se préparaient déjà. Les deux représentants C'ta et D'go s'en furent les der­niers. Dans les couloirs de départ du statioport, ils n'échangèrent qu'un regard. Tout avait été dit, il faudrait intensifier le processus dans les jours à venir. Et ce sans égards aux bouleversements qui submergeaient inévitablement les popula­tions terriennes.

Ce soir-là, après quelques heures de disparition, M. Bush retrouva son chien Do­nald et M. Gorbatchev son chat Lénine.

Michel GRANGER & Pierre YAILIAN

Publié in Dimanche Saône & Loire du 1er avril 1990.
Dernière mise à jour : 29 décembre 2010.


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