icône home © Michel Moutet, 2012
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I
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Toine et l'extraterrestre

Eté 1954, le Toine, comme chaque habitant du village l’appelle (en fait il se pré­nom­me Marc-Antoine ce qui fait un tantinet Auteuil-Neuilly-Passy pour un petit village de quelques 900 âmes en comptant les poules et les cochons…), s’adonne à un petit circuit récréatif à travers la campagne bressane environnante.

Il fait un temps superbe et l’atmosphère bucolique incite aux écarts d’imagination : une rêverie à la J. J. (Rousseau bien sûr ou peut-être Goldman).

Tout à son attention, le Toine marche sans bruit afin de ne pas déranger la nature encore sauvage dans cette région épargnée par la frénésie citadine et non encore empuantie par les gaz d’échappement et l’ozone naissant.

Soudain, un lièvre gîté, un beau, débusqué par cet intrus, s’enfuit à toutes pattes, queue en l’air.

Le Toine, également surpris par ce déboulé soudain, suit des yeux le léporidé pol­tron et localise l’endroit de son terrier présumé. Examinant de plus près la touffe de buisson où l’animal a disparu, le Toine reste coi …, la pipe en berne.

Un être d’environ un mètre de haut (voûté et difforme, comme accroupi) portant un casque de cosmonaute (un Russe ?) ou peut-être d’astronaute (un Américain ?) – fi­nalement l’accoutrement ne convient à ni l’un ni l’autre – est caché derrière un buis­son touffu.

Le Toine se pince mentalement et se dit que ce matin il n’a bu que trois petites rin­cettes, ce qui ne peut en rien nuire à sa perception visuelle ni lui induire des hallucinations, fussent-elles martiennes. En effet, le Toine, après un litre de goutte absorbé, peut encore jouer à la belote au bistro sans confondre le roi de cœur et la reine de carreau et remettre un hameçon au bout de sa ligne quand une grosse carpe en a brisé le fil de nylon.

Eberlué, il écarquille les quinquets et se convainc de sa vision. Manifestement, c’est un extraterrestre et de la pire espèce, celle des petits hommes verts... Heu­reusement, le spécimen ne semble pas agressif et c’est la peur qui semble plutôt l’habiter. Normal pour quelqu’un qui vient de si loin...

Le Toine examine l’être incongru. Tout y est. Le casque, la combinaison, les tuyaux permettant de respirer dans une atmosphère hostile. Le tout d’un vert fluo que ne renierait pas un auteur de science-fiction. Et, en plus de Rousseau, il a lu du Jimmy Guieu, le Toine, ce qui lui a valu quelques railleries...

Des yeux étrangers mais tellement humains (ah, l’univers est bien homogène !) re­gar­dent fixement le Toine, le visage semble souffrir, comme déformé par un effort in­tense.

Après une éternité (sans doute seulement quelques minutes, mais dans une telle situation, le temps semble long), la créature se trémousse, grandit pour atteindre une taille à l’échelle humaine et disparaît en courant derrière les fourrés.

Peu de temps plus tard, le Toine entend un bruit de moteur et un éclair provenant du sol zèbre le ciel.

Eté 2004, dans le même petit village paisible, les propos vont bon train au café de la place.

Qui devant son p’tit blanc, parfois agrémenté de cassis, qui devant un « jaune » ou un Suze citron, et ces conversations, telles des brèves de comptoir, convergent tout naturellement vers l’histoire du Toine dont ça va faire juste 50 ans qu’elle alimenta tous les fantasmes de ceux qui croyaient aux martiens vert pomme. Et ils furent nombreux, ces témoins de la vague d’ovnis de 1954. La France, y compris la Bresse, sembla envahie par une armada de créatures venues d’ailleurs... assouvir quelques nécessités surnaturelles et mystérieuses.

Mais aujourd’hui, les temps ont changé. Il ressort de cette évocation du temps passé ce qu’on peut résumer ainsi et qui s’énonce prosaïquement au café de la place :

- Ah!, le Toine ! Il a vu des années plus tôt le Maurice qui, ayant mal digéré la « ma­rande » de la Marie, avait interrompu toutes affaires cessantes ses activités pour aller satisfaire à d’impératifs besoins plus que pressants derrière un haut buisson à l’abri théoriquement des regards indiscrets.

Il faut préciser que le Maurice était un avant-gardiste et qu’il se méfiait, déjà à l’époque, des pesticides qu’il était amené à déverser sur ses cultures pour en éloigner la vermine. Maurice, un précurseur en matière de risques chimiques que les produits à pulvériser avaient mis sur ses gardes.
Bien lui en avait pris d’ailleurs puisque aujourd’hui, à la retraite, il coule des jours heureux auprès de la Marie, laquelle n’a plus les charmes d’antan.
Bref, c’est pourquoi, en ces temps héroïques, il portait une tenue de protection sans aucun doute pas très sexy mais très efficace, proche des tenues NBC !
Tout s’explique, de la tenue à la position accroupie ainsi que le bruit de moteur à la fin des opérations.

Tout s’explique ?
Non. Nul ne peut expliquer l’éclair car, en cette belle journée d’été 1954, personne n’a souvenir d’un quelconque orage même sec. Quelle fût la réelle vision du Toine ? Seul l’homme en vert le sait.

Michel GRANGER & Michel PIERRE

Publié in Dimanche Saône & Loire du 5 octobre 2003.
Republié sous le titre "L'extraterrestre" in Sciences Interdites n° 10, hiver 2003.
Dernière mise à jour : 15 mars 2011.


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