Double Assassinat dans la rue Morgue
Edgar A. POE
Traduction Charles BAUDELAIRE
Garamond, Bibliothèque de Poche, 1947.
Agacé passablement par les multiples références amassées au cours de mes lectures arguant que la nouvelle dEdgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, place cet auteur américain comme un précurseur du roman à énigme et tout particulièrement du meurtre en chambre close, ce qui constituerait une géniale intuition en 1841 par rapport à tous ceux qui, plus tard, se sont attaqués à ce genre de problème très apprécié, jai voulu, 20 ans après une première lecture, relire ce texte qui, soit dit en passant, ne mavait pas enthousiasmé au temps où les circonstances me lavait mis sous les yeux. Mais jétais plus jeune et peut-être moins convaincu quaujourdhui que lastuce de meurtre en chambre close constitue bien le graal du roman policier inaccessible en loccurrence sans faire appel au surnaturel.
Rappelons brièvement les faits rapportés par Poe.
Un double meurtre est découvert à Paris. Celui dune femme et de sa fille ; la mère est retrouvée dans la cour de limmeuble, manifestement défenestrée mais la blessure quelle porte au cou tête presque détachée prouve quil y a eu de terribles violences avant la chute.
La fille est trouvée morte dans une chambre dévastée donnant sur la cour, elle-même brutalement molestée avec le haut du corps enfoncé dans la cheminée dont le trou, trop étroit, ne peut constituer un moyen de sextraire de la pièce.
La porte est fermée de lintérieur, la fenêtre aussi.
Poe ne peut dissimuler le fait que le point faible de ce local, retrouvé hermétiquement clos et doù a bien dû séchapper le meurtrier, est la fenêtre bloquée avec un clou qui savérera facile à se remettre lui-même en position lorsque la fenêtre sera poussée de lextérieur
Certes lidée est bonne nonobstant que le passage relatif à ce repositionnement naturel du clou de fermeture dans son alvéole est particulièrement embrouillé et difficile à comprendre si bien quil ne constitue pas en soi une démonstration digne déloge.
Mais ce qui me gène énormément et je nai trouvé cette remarque nulle part chez les admirateurs et critiques de lauteur américain, cest quil sagit dune fenêtre dite « à guillotine », dont à ma connaissance labsence est quasi-totale dans les immeubles parisiens, remplacée par des fenêtres à charnières verticales avec lesquelles lidée de Poe est totalement irréalisable.
Je sais bien quil sagit dune uvre dimagination mais en transposant, en se trompant, un problème qui aurait sa solution en Amérique (mais non pas dans la plupart des immeubles de Paris), Poe ne fait pas uvre géniale : il pèche par méconnaissance.
Dailleurs, le traducteur, qui nétait autre que Charles Baudelaire, fait remarquer que Poe nest jamais venu à Paris (et na même pas cherché à sen procurer un plan !), là où précisément il ny a pas de rue Morgue, mais lincongruité de la fenêtre à guillotine semble lui avoir échappé.
Il observe cependant que Poe « raconte les choses à laméricaine » sans beaucoup restituer les vraies murs parisiennes ; ce qui ninfirme « pas la valeur de lanalyse », mais provoquerait aujourdhui, sans conteste, le rejet du manuscrit avec la mention usuelle (croyez-en mon expérience) : « malgré ses qualités, ce manuscrit nentre pas dans le cadre en vertu de ses anachronismes et de ses libertés prises avec la réalité. » Le coup de la fenêtre qui se referme sous laction de la pesanteur est vraiment bien mal situé en France !
Cela dit, Auguste Dupin, le policier enquêteur imaginé par Poe, est, il faut lavouer, très sherlockien avant lheure