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INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Le temps d'un rêve

Rafaël choisit un chêne. Ce fut surtout la noblesse de l'arbre qui influença sa sélection. Puis il étudia avec soin le terrain. Où le planter ? Devant la fenêtre de la cuisine, il gênerait et gâcherait la vue quand il serait gros et grand. Aux abords du garage, cela ne convenait pas non plus. Quant à le placer au hasard au beau milieu du potager, il méritait un meilleur destin. Si tant est que d'abriter choux et salades ait quelque chose de déshonorant dans l'existence d’un chêne. Non le mieux était de le planter non loin de la balançoire des enfants.

Une fois adulte il protégerait la gent piaillante et babillante des rayons trop forts du soleil, tout en restant un abri à toute épreuve contre une ondée passagère.

Rafaël se retourna dans son lit et la terre en fit autant. Le trou s’élargit et bientôt la place était suffisante pour recevoir le mince arbuste. Les racines étaient encore fragiles mais elles prendraient de la force. Rafaël eut soin de ne pas les abîmer en les recouvrant de terre et d’humus. Puis il arrosa le chêne pour la première fois. Le terrain absorba l’eau avidement et le soleil toujours jaloux se mit en devoir de pomper ce que le sol aride avait obtenu. Rafaël avait chaud mais il était content et son drap moite de la sueur qu’il versait.

Peu à peu, inéluctablement, le chêne grandit, prit une ampleur majestueuse et bientôt les oliviers du jardin ne furent que des arbrisseaux auprès de ce roi des forêts. Rafaël était fier et ses voisins l’enviaient.

Avec les glands, il pourrait confectionner de la chicorée-rezzo et inviter Manuel.

Vers cinq heures, l’automne arriva avec sa fantasmagorie de couleurs. Les feuilles se tintèrent et se détachèrent une à une. Elles jonchèrent le sol victimes de la loi des saisons. L'arbre sembla vieillir d'un seul coup et approcher de sa fin.

Rafaël eut peur et se réveilla avec le coq qui chantait le jour nouveau. Du revers des deux mains, il se frotta les yeux et regarda par la fenêtre.

Il pleuvait et les oliviers pliaient sous la bourrasque. Un sifflement de mauvais augure baignait la vallée toute entière. Le chêne était insensible. Une appréhension sin­gu­lière comprima la poitrine de Rafaël. Il sortit pressentant un malheur. Le chêne s’abat­tit avec un craquement d’enfer. Et Rafaël se rendormit.

Le coq cessa de chanter. La pluie interrompit son clapotis. Et le soleil pointa à l’horizon.

Michel GRANGER & Jacques CARLES

Inédit.
Ecrit dans les années 1968-70.
Dernière mise à jour : 11 novembre 2013.


© Michel Moutet, 2014
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