icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

La prophétie

Banal ce lundi, il l'a été pour Maurice, jusqu'au moment où, en faisant ses courses dans un grand magasin, il tombe sur son ami Alain. Ce dernier, d'habitude morose, d'abord plutôt froid et de visage triste, vient à sa rencontre tout sourire dehors, ce qui reflète une intense jubilation. Et aussitôt s'engage entre eux une conversation digne du plus haut intérêt :
– Tiens, salut Maurice ! Il y a longtemps que je ne t'ai vu.
– Salut Alain ! Ça va ?
– Eh oui, ne m'en parle pas ! Avec cette flotte, on n'ose plus sortir.
– Que veux-tu, c'est la saison !
Et ainsi de suite, dans le même registre. Puis, soudain, Maurice, inquiet, s'enquiert des raisons d'une telle volubilité de la part de son ami. Jamais il ne l'a vu si disert...

Alain lui explique alors les causes de sa bonne humeur.
Tout d'abord, il est papa depuis la semaine dernière et voilà qu'une tante éloignée vient de décéder. Or, celle-ci, qu'on croyait quasiment nécessiteuse, lègue une assez belle somme d'argent et de titres au dernier enfant né de la famille, son fils Vincent en l'occurrence, qui se verra ainsi nanti, à sa majorité, d'une dot que beau­coup de jeunes envieraient aujourd’hui.
Et tout ce bonheur inopiné – on pensait son épouse stérile et le maigre salaire d'Alain ne lui aurait jamais permis d'économiser le dixième de ce petit magot –, cette chance inespérée lui avait été prédite un an plus tôt par une voyante con­sul­tée dans un coin de fête foraine.
Ce qui semble le plus réjouir Alain, ce n'est pas tant le fait d'être devenu subitement le père d'un enfant riche, mais que quelqu’un en ait eu la vision prophétique anti­ci­pée...
Devant un tel accent de joie extériorisée, Maurice, une fois les félicitations faites, ne peut s'empêcher de demander l'adresse de cette pythonisse, au cas où... Son ami lui griffonne le renseignement sur une page de carnet qu'il glisse négligemment dans une poche.

Tout en serait resté là si, un peu plus tard, Maurice n'avait voulu porter sa veste au pressing. Une boule de papier froissé se retrouve entre ses doigts. En cherchant à savoir ce que c'est, il renoue avec l'épisode anecdotique de la voyante.
Comme il a certains soucis de cœur et de situation, Maurice décide de se rendre chez cette femme, histoire de se donner un peu d'émotion car, tout bien pesé, il ne voit dans cette histoire qu'une série de coïncidences. Mais poussé par on ne sait quelle intuition, il prend rendez-vous par téléphone et va sur place, le samedi suivant.

A dix heures précises, Maurice est introduit dans le cabinet de Déborah. Celle-ci, contrairement aux clichés populaires, n'a pas de fichu sur la tête, ni de chouette posée sur l'épaule. Aucune boule de cristal n'encombre sa table de travail. La fille est jeune et jolie, et son sourire à lui seul vaut le déplacement. Un chemisier semi-transparent largement échancré sur une poitrine généreuse incite à s'attarder...

Après les présentations, Déborah demande, avec un rire de gorge, s'il préfère les tarots ou la chiromancie.

Maurice, tout émoustillé, choisit les cartes tout en regrettant confusément autre chose. Déborah distribue, compte, retourne et annonce : « Vous êtes célibataire, mais cela ne durera pas. Bientôt vous trouverez l'âme sœur et, en outre, vous se­rez sollicité pour occuper une fonction supérieure au sein de votre entreprise. ».
« Enfin, vous serez l'heureux bénéficiaire d'un magnifique cadeau récompensant le lauréat d'un concours auquel vous avez participé. »

Ça alors ! Cette fois, Maurice est conquis et il inviterait bien cette jeune personne à déjeuner, s'il ne craignait d'influer sur la première étape de la prédiction. Mais elle se lève, perçoit ses 200 F et reconduit son client.

Sur le chemin du retour, Maurice cherche la faille. Le célibat, c'est facile, il lui a laissé entendre dans le cours de la conversation liminaire. Pour la promotion, là, c'est le coup classique pour faire passer les 200 F. Par contre, comment a-t-elle deviné qu’il a répondu, l'autre jour, au questionnaire d'un grand hebdomadaire ?

Maurice décide de voir venir et de ne rien faire pour l'instant qui puisse forcer la providence... Le temps passe. Maurice s'interroge parce que sa dernière copine vient de le plaquer et qu'un poste intéressant lui a échappé au profit d'un minable collègue... Au diable cette Déborah et ses succès concernant la vie intime de ce faux-frère d'Alain !

Et voilà que, lors d'une soirée entre amis, il retrouve Viviane, une copine d'antan, mais qui, aujourd'hui est resplendissante dans la plénitude de ses 35 ans.

Dès lors, on ne les voit plus l'un sans l'autre, ce qui en surprend plus d'un. De surcroît, Maurice vient d'obtenir un changement de coefficient inespéré. De quoi le faire changer d'avis concernant la belle Déborah... Celle-ci avait vu juste au moins deux fois. Reste le troisième événement qui devait changer sa vie, mais il ne le préoccupe aucunement. D'ailleurs, il ne se souvient même pas quel en était l'enjeu.

Or, un soir, en rentrant dans le nid douillet qu'ils se sont acheté, Viviane lui annonce qu'il a du courrier et elle lui tend une grosse enveloppe. Maurice s'en saisit fébrilement, car il a reconnu la flamme de la machine à affranchir... Elle représente le logo du journal organisateur du concours. Déborah, quelle championne ! Il dé­chire le papier et en extrait une feuille... où il est dit qu'il est l'heureux gagnant d'un magnifique sous-verre, spécialement réalisé pour les participants malheureux...

Il ne faut tout de même pas trop chatouiller le destin sous peine de le voir vous éclater de rire à la figure !

Michel GRANGER & Michel PIERRE

Publié in Le Courrier de Saône & Loire Dimanche du 26 février 1989.
Dernière mise à jour : 1er avril 2011.


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