icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Prémonition

La bataille fait rage : l’ennemi jaillit de toutes parts et les vaillants soldats défendent pied à pied la petite parcelle de terrain sur laquelle ils sont installés.

Le capitaine, le visage ensanglanté, hurle ses ordres au milieu des cliquetis des épées et des haches. Sa voix de stentor domine le tumulte des armes. Vincent, enrôlé depuis peu de temps à la suite d’une beuverie à la taverne du village où il s’est fait posséder par un sergent recruteur, tremble de peur dans ses haillons que constituent ses pauvres vêtements.

C’est son premier engagement et l’épée qu’on lui a donnée servirait à peine à couper une motte de beurre. Il aurait préféré utiliser une hache car son métier de bûcheron lui aurait beaucoup servi. Mais l’armée…

Conscient du danger et de la supériorité numérique des assaillants, il continue néanmoins vaillamment le combat tout en sachant que la cause est perdue. Malgré leur bravoure, les soldats sont bientôt submergés et la vague déferlante de l’ennemi fond sur eux.

Un colosse au visage grimaçant et à la chevelure hirsute se rue sur Vincent et lui assène un violent coup du plat de son arme sur la tête…


Un hurlement perce la nuit. Vincent se dresse sur son lit encore tout frissonnant du cauchemar qu’il vient de faire. Sa tête lui fait horriblement mal et, en passant sa main sur ses cheveux, il la ramène poisseuse de sang ! Inquiet, il regarde autour de lui et comprend que, dans l’agitation de son rêve mouvementé, il a violemment heurté un angle du chevet, ce qui lui a sans aucun doute causé cette blessure…


Vincent se réveille avec un mal de tête carabiné ; il s’ébroue et, dans l’obscurité de la nuit, constate qu’il est enfermé dans une sorte d’enclos gardé par des militaires en armes.

Son regard s’accoutumant à la faible luminosité, il dénombre plusieurs de ses frères qui gisent ça et là, plus ou moins blessés, et plutôt morts que vifs. Lorsque l’aube point, la faim et la soif le tenaillent. Il ne sait que faire mais, se disant que la condition de prisonnier mérite une certaine considération, décide néanmoins de demander à boire et à manger à ses geôliers.

Le gardien fait la sourde oreille et Vincent est obligé de crier. Cette attitude rend l’autre méchant, lequel sorti de sa torpeur matinale, ouvre l’enceinte, s’approche de Vincent et le saisit par ses habits en lambeaux pour le traîner à l’extérieur.

Après un bref conciliabule avec ses camarades, le geôlier revient auprès de lui, le tire vers un poteau et lui attache les mains en hauteur.

Il lui arrache son peu de vêtement et, prenant un fouet, le cingle de coups de plus en plus violents…


Un cri strident perce la nuit. Vincent se dresse sur son lit encore tout pantelant du cauchemar dans lequel il est retourné. Son dos le brûle et, en y passant la main, il la ramène poisseuse de sang.

Surpris, il réalise qu’il a fait l’amour avec Jocelyne, son épouse, et qu’au cours de l’étreinte, celle-ci lui a lacéré la peau avec ses ongles…


Vincent se réveille à la suite de son évanouissement. Il est allongé sur de la paille et il est seul.

Quelques soldats déambulent gaiement alentour et des rires fusent. Un rossignol chante dans un arbre. Le soleil brille et pas un seul nuage ne vient assombrir cette charmante harmonie.

Soudain, le colosse qui a assommé Vincent s’approche en titubant et d’une voix de rogomme l’interpelle : il lui annonce qu’il l’a gagné aux dés et que, désormais, il devient son esclave.

Bah ! pense Vincent, être esclave d’un maître ou d’une armée, quelle est la différence ?


Celle-ci ne tarde pas hélas à se manifester car, comme le hasard fait bien mal les choses, un nouveau conflit se crée entre les belligérants.

La bataille se déchaîne, les casques, les boucliers, les épées luisent au soleil. Le chahut est indescriptible, mais Vincent remarque vite que ses anciens compagnons dominent la situation. Sa joie est immense quand il les voit revenir vainqueurs et s’étant emparés de prisonniers.

Malheureusement, Vincent est attifé de hardes ; il porte les armes de son nouveau maître, ce qui fait que, lorsque les prisonniers sont introduits un à un dans les prisons improvisées, une main crochète son épaule et les mots traître et renégat sont prononcés.

On saisit Vincent et, sans ménagement, on l’approche du billot. Tétanisé par la peur, il ne parvient à faire franchir aucun son au-delà du seuil de ses lèvres tuméfiées.

Du coup, la hache se lève ; Vincent regarde le ciel où passent des oies sauvages. L’automne est en avance cette année. La hache s’abat…

Nul bruit ne trouble la douceur de la nuit…


Le lendemain, on pouvait lire en première page du quotidien local : Crime crapuleux. Une femme hystérique décapite son mari en plein sommeil.

Vincent rêvait-il ? Son cauchemar était-il prémonitoire ? Ou a-t-il, sans le savoir, franchi les limites de la quatrième dimension ?

Seule sa femme, traumatisée et désormais aphasique, connaît la réponse…

Michel GRANGER & Michel PIERRE

Inédit.
Ecrit dans les années 2000.
Dernière mise à jour : 31 mai 2013.


© Michel Moutet, 2014
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I
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