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La pluie

La saison des pluies était venue tôt cette année. Les orages se succédaient sans discontinuer depuis un mois et la terre, détrempée, faisait penser à une éponge saturée d’eau. Les champs n’étaient plus que nappes aqueuses en formation et chaque cours d’eau, aussi mince fut-il, quittait son lit comme un dormeur insomniaque. Cette humidité généralisée avait bien entendu des conséquences catastrophiques sur les cultures. Les vignes, en particulier, voyaient leurs raisins tomber en déliquescence et il était grand temps de hâter les vendanges si l’on voulait encore sauver quelque chose.

César était consterné, sa récolte en partie compromise sans pouvoir lutter contre le sort. Aller dehors était même devenu pour lui une témérité. La pluie, avec une régularité de métronome, battait les carreaux de son mas et la foudre, aussi bien le matin que le soir, grondait par intermittence. Les ornières des chemins ressemblaient à de petits ruisseaux et quand Francine rentrait du village avec les provisions, elle n’était plus qu’une petite vieille rabougrie et ruisselante de mille gouttelettes, ses bas noirs maculés d’une vilaine boue collante.
César se tenait à l’écart de sa femme quand il la savait dans cet état. L’eau de pluie lui était devenue un supplice.

Quand le soleil ardent revint, César en éprouva un soulagement indescriptible. L’épreuve était finie pour cette année ; l’automne amènerait le froid sec et le mistral sécherait les vignes. Il pourrait travailler. Certes, la récolte aurait souffert et il perdrait de l’argent. Cependant, les quelques souches saines qui resteraient suffiraient à lui assurer subsistance une année encore.

César se leva tôt et partit à la vigne, la pioche sur l’épaule et le chapeau bien enfoncé. Il inspectait la propriété quand ce qu’il craignait depuis toujours survint avec la spontanéité de l’éclair. Le tonnerre éclata sans prévenir et subitement, la pluie battit la campagne.
César courut aussi vite que ses vieilles jambes lui permettaient. Mais elles n’avaient plus la rapidité des années passées. Avant qu’il n’atteignît le gros chêne, au coin de l’enclos, l’eau lui dégoulina sur le visage et sur le cou… et il commença à rétrécir.

Michel GRANGER

Publié in Le Courrier de Saône & Loire Dimanche du 15 octobre 1989.
Dernière mise à jour : 25 avril 2011.



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