icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Le dernier virus

Des années de recherches...

Un nombre effarant d'examens, de tests, de prélèvements, d'analyses complexes réalisées grâce au matériel scientifique le plus sophistiqué...

Une multitude de manipulations en éprouvette relevant de l'ingénierie génétique d'avant-garde...

Un budget formidable, prélevé sans scrupule dans le porte-monnaie des contribuables, comme si leur salut, à tous, en dépendait...

Une foule de cobayes humains grassement rémunérés, dont certains y ont perdu sinon la vie, du moins la santé à jamais...

Une armée de docteurs, médecins, infirmières, techniciens, laborantins... au point qu'on peut se demander à quoi on va les occuper dorénavant...

Tout cela débouche enfin sur la réussite tant espérée et va mettre un terme au plus fabuleux défi que s'est lancée l'humanité à elle-même : identifier tous les virus susceptibles de la contaminer puis les anéantir.

Contre toute attente, ce n'est pas d'un des plus grands instituts mondiaux qu'arrive la réjouissante nouvelle ; mais d'un petit laboratoire de l'Est, aux moyens surannés.
Là, un inconnu à peine diplômé, le professeur W.F. Petrow, avec l'aide d'une toute petite équipe de collaborateurs à la mode rétro du 20ème siècle, a accompli l'exploit ultime.

Alors qu'au niveau mondial, las des déceptions, des déboires en tous genres – promesses non tenues, communiqués de presse équivoques, publications stériles masquant l'échec sous le jargon des spécialistes, colloques à impact purement psychologique –, les autorités songeaient sérieusement à abdiquer et arrêter les frais à l'aube du 25ème siècle, un minable franc-tireur vient coiffer sur le poteau toute l'élite de l'intelligentsia biologico-génético-médicale...

Enfin, on connaît le grand coupable. Le détruire définitivement, ou tout au moins l'empêcher de nuire par un traitement préventif, sera un jeu d'enfant. Quant aux malades encore au nombre de plusieurs millions, ils seront soignés maintenant sans problème.

Tous les journaux sans exception ont reproduit à la une cette saisissante micro-photo du dernier virus : imaginez un cœur minuscule, hérissé de milliers de pics qui semblent le transpercer de part en part... et vous avez là une petite idée du « monstre ».

Fini le cauchemar engendré par cette pernicieuse épidémie qui, depuis la naissance de l'homme, fit des ravages dans toutes les couches de population, parmi tous les peuples de la terre, frappant hommes et femmes sans discernement aucun. Personne ne semblait immunisé, à de très rares exceptions près. Telle une lèpre invisible, mais terriblement efficace, le « mal » indétectable, les rongeait de l'intérieur, les rendant tantôt fous à lier, tantôt euphoriques, tantôt hystériques, mais, en tous cas, tous anormaux dans le seul sens purement rationaliste du terme. Combien de drames atroces pourront être ainsi évités, ceux-là même qui avaient poussé parfois les contaminés à se donner la mort, certaines séquelles étant trop dures à supporter...

Enfin, ce mystère séculaire, d'origine indubitablement satanique selon certains, était éclairci. Lui qui avait modelé l'histoire, mené trop longtemps le monde à vau-l'eau dans la plus totale incohérence indigne d'une espèce douée d'intelligence. Et ceci sans égards à la couleur de la peau et la tendance idéologique : les capitalistes, les communistes, les socialistes, tous en avaient pâti quasiment au même degré. Les conséquences en avaient été incommensurables, bien plus que celles provoquées par la rage au 19ème siècle ou le cancer au 20ème et le Sida au 21ème.

Aujourd'hui, avec la chute de ce dernier bastion de la morbidité, aucune affection n'était plus inconnue à l'homme. Il était devenu le maître de son corps sinon encore de son esprit.

Le professeur Petrow pouvait jubiler et il ne s'en privait pas. Toute sa propre existence, il l'avait consacrée à l'élucidation de ce problème, le seul qui restait d'ailleurs dans le champ de la médecine moderne appliquée aux humains. Et il avait travaillé presque seul... en juif qu'il était. Pourtant, n'avait-on pas mis partout le paquet, en mobilisant toutes les forces vives de la planète contre l'ennemi microscopique, en attaquant sur tous les fronts dans chaque secteur des sciences de la vie.

Petrow, seul contre tous, avait réussi là où tout le monde avait échoué !

Aux reporters venus des quatre coins de la planète l'interviewer, il avait déclaré, paraphrasant une formule fameuse prononcée par un pionnier de l'astronautique : « C'est un petit pas pour l'humanité, mais un grand pas pour l'Homme »... Le clin d'œil n'était pas passé inaperçu.

Le genre humain, dans sa sagesse extrême acquise au fil de ces derniers siècles, pouvait enfin vivre tranquille, délivré de ce qu'on avait qualifié à dessein de « Fléau ».

Le Fléau ! Depuis longtemps, on n'utilisait plus que ce nom maléfique pour désigner l'irréductible obstacle à une santé humaine sans faille. Et pourtant, pendant des siècles, l'avait-on ignorée cette abominable calamité. Les hommes de l'an 2000, inconscients entre tous, en avaient même chanté les bienfaits feignant d'en ignorer les affreux effets. La raison de cette aberration venait simplement d'un aveuglement inexplicable qui n'avait d'équivalent que dans l'usage régulier de l'hygiène, de l'alimentation équilibrée et de la « conscience cosmique ».

Heureusement, « il » était maintenant vaincu par l’entremise de l'extraordinaire perspicacité du professeur Petrow, ce qui lui vaudrait, très certainement, le prix Nobel de médecine… En effet, il allait falloir se reconvertir dans d'autres zones restées obscures la science : par exemple, le sexe des anges et la réalité des fées...

Révolues à jamais pulsions suicidaires induites par le coupable et qui avaient fait une hécatombe si on comptabilisait la totalité des infortunées victimes. Ces habitudes dégradantes capables de tourner en fantoche pitoyable une créature responsable, n'allait enfin plus fournir matière à l'étalement indécent au grand jour des basses faiblesses humaines. Le monde était bien délivré d'un très grand malheur.

Vive le professeur Petrow, le Sauveur, le découvreur du dernier virus non encore identifié par la médecine : celui de l'Amour...

Michel GRANGER

Publié in Le Courrier de Saône & Loire Dimanche du 13 septembre 1987
Dernière mise à jour : 27 octobre 2010

 


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