icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

I.S. comme Intelligence Surprenante

Du fin fond de la galaxie rayonne un seul et même message. Propagée de planètes en planètes, se répand la même annonce dans toutes les langues, tous les dialectes et, bien sûr, en intergalact. Dans exactement deux mois, aura lieu la finale des êtres les plus intelligents de l'Univers qui couronnera l'I.S. (Intelligence Supérieure) de l'année galactique. Pour avoir la chance de participer à cette finale, tous les candidats devront passer des tests, puis, s'affronter au cours de multiples rencontres.

Depuis six cents ans, les êtres d'une même race ont gagné le trophée et l'énorme récompense par la même occasion. Mais cette fois-ci, la compétition ne sera pas comme les autres : de nombreuses espèces, cohabitant dans la paix, ne supportent plus cette hégémonie et ont décidé de changer les choses.

Dans un des grands bâtiments de la capitale, derrière des fenêtres d'un cristal amorphe d'une pureté d'ange, les dix plus grands industriels du secteur des jeux et loisirs pour foule en mal de distractions sont réunis. Autour de la table, tous attendent. Un panneau de roche écarlate du petit satellite de la planète Sio s'es­ca­mote et laisse le passage libre au Vorgl.

Un des personnages, presque dissimulé dans l'ombre, laisse fuser cette invite :

– Entrez donc, vous êtes le bienvenu dans cette demeure.

Les convenances en vigueur sur la planète natale du Vorgl ont été respectées. De nombreuses histoires circulent dans les galaxies sur les disparitions mystérieuses de ceux qui ont manqué de respect aux Vorgls.

D'un pas lourd, son centre d'inertie au plus bas, les deux cents kilos de muscles avan­cent. Le panneau s'est refermé sans bruit.

– Nous vous avons invité pour vous demander de nous rendre service.

Une pause, pour réfléchir, mais aussi pour étudier de plus près le Vorgl. Il est rare d'en rencontrer un, mais encore plus rare d'avoir comme invité le plus redoutable guerrier de l'Empire Galactique.

– Vous avez eu connaissance de notre proposition, n'est-ce pas ?

Les petits yeux jaunes, qui selon la rumeur voient dans l'infrarouge, fixent l'autre une longue seconde. Un morceau de papier est tendu et glisse sur la table : une des créatures assises sert d'intermédiaire et fait passer le billet. Ce qui a été pris pour du papier n'est rien d'autre que du cuir tanné. On déplie la peau : un chiffre est écrit dessus, à l'encre rouge. Ou alors s'agit-il de sang ? C'est le prix demandé par le Vorgl pour sa mission. Comme l'argent ne pose aucun problème à ce niveau, le marché est conclu.

Le soleil n'a pas le temps de se coucher sur Capitale que le Vorgl est déjà parti en quête de son gibier.
Le vaisseau de chasse s'approche de la vitesse de la lumière et, sous l'impulsion de son pilote, change de dimension. D'habitude, le calculateur de bord prend en charge les paramètres de navigation, mais le Vorgl dirige lui-même les manœuvres tout le long du voyage.

Il a bien préparé son dossier : l'affaire est presque zelq comme on dit couramment chez lui. Trop simple en quelque sorte, mais avec un sentiment difficilement trans­posable aux autres espèces. Il doit trouver quelqu'un capable de remporter le con­cours de l’I.S. Nul doute que si les Vorgls avaient accepté de se soumettre à ce qu'ils considèrent comme une insulte à leur intelligence, ils auraient gagné, eux.
Pour ses recherches, il a choisi une nouvelle planète, découverte il y a peu de temps, par un membre de sa famille. Située à la frange d'une galaxie, elle a été surnommée par ses habitants la Terre.

Il va bientôt devoir réintégrer l'espace normal ; pendant les dernières heures de l'équipée, il passe en revue les accessoires qu'on lui a obligeamment fournis. Il repère immédiatement la sonde psychique qui, couplée avec la petite boîte transparente de l'analyseur, doit lui permettre d'identifier sa proie : un spécimen de l'espèce terrienne la plus intelligente en l'occurrence.

Le bruit du frottement des molécules d'air sur la coque de son navire l'avertit qu'il est arrivé. Bien que technologiquement évolués, les habitants de cette planète, ont terri­blement du retard sur l'Empire Galactique. C'est donc sans mal, qu'il passe inaperçu, trompant facilement les radars et autres détecteurs existants.

Il commence à collecter des informations, mais rapidement doit se rendre à l'évi­dence : il n'a pas affaire à des génies.
Pourtant, les peuples jeunes sont sans conteste les plus susceptibles de donner des I.S. Il passe, repasse au-dessus des concentrations d'habitations, mais la sonde psychique reste désespérément muette. Au bout d'un mois et demi, il doit se rendre à l'évi­dence, l'échec est au bout de cette mission. Ces êtres ne sont que des débiles par rapport aux Catlox qui depuis des années remportent le concours.

Il ne lui reste que quelques îles à survoler, peut-être qu'une peuplade supérieure y vit paisiblement, à l'écart, au beau milieu des océans ?
Il remonte une petite chaîne montagneuse, quand ses appareils lui révèlent soudain une formidable source. S'il ne se trompe pas, il a peut-être encore une chance de remplir son contrat.
Le vaisseau se pose en silence en plein milieu de la plus proche prairie. Il ne sort pas lui-même, non ; il dirige un robot vers l'extérieur, lequel se met en chasse.



La salle de réception des candidatures de la Capitale pour le concours de l'I.S. rutile de joyaux lumineux et de cascades atomiques. La présence du Vorgl attire l'attention, mais tous feignent de l'ignorer. Il soulève la grosse caisse sans effort apparent et s'avance vers le bureau libre. Un employé du concours s'approche et récupère preste­ment les papiers d'inscription, désireux d'en finir rapidement.
Toutes les formalités sont remplies, la caisse est livrée avec, a l'intérieur, sa pré­cieuse cargaison. Mission enfin remplie.

Debout, près du cristal monobloc qui sert de paroi à tout le bâtiment, dix industriels sont réunis. Le plus vieux se tourne vers son voisin :

– Qui eût cru qu'un Vorgl accepterait et qu'il réussirait ?

– Oh ! mais on n'a pas encore gagné, il reste la finale.

Les doigts secs de ce dernier courent sur le clavier du terminal : les résultats des tests de sélection défilent sur l'un des murs. Un tri est effectué et bientôt les cin­quante sélectionnés sur l'ensemble des galaxies pour les éliminatoires s'affichent. Un candidat porte le nom du groupe qu'ils ont formé pour l'occasion.

– Notre seul candidat, de la planète Terre, est maintenu pour participer à la finale contre les trois Catlox !



La finale touche à son terme, il n'y a pas de spectacle, aucune image n'est diffusée, seuls les scores par l'entremise du réseau d'information circulent, et la remise des prix aux trois meilleurs est retransmise.

L'image holographique est tout à coup projetée au milieu de la pièce. Le podium de quartz s'élève. Sur la troisième et la seconde marche, siègent les Catlox. Sur la première marche, debout sur deux jambes, les bras le long du corps, le regard fixé au loin, le candidat de la Terre a gagné. Au moment où le président du concours se penche pour remettre la médaille honorifique, dans un mouvement imprévisible, le gorille lui mord le nez… créant la plus affligeante des confusions.

Michel GRANGER & Pierre YAILIAN

Publié in Dimanche Saône & Loire du 13 mai 1990.
Dernière mise à jour : 20 février 2011.


© Michel Moutet, 2014
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES