icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
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Alerte rouge chez les gueules noires

Moi, John Formios, détective, je terminais mon petit déjeuner quand une grêle de coups assénés à la porte me firent sursauter. Teddy Mc Evans mon associé, tam­bourinait contre le battant :

– John, John, criait-il. Venez, un meurtre a été commis dans la vieille mine de San­ta Claus ! Vite ! On nous attend là-bas. Ça s'est passé vers 5 h du matin. Dé­pê­chez-vous !

Le temps de calmer les ardeurs de ce jeune écervelé pour qui c'était, en effet, la première affaire criminelle, et nous voilà partis. Il se trouve que je connais bien la mine de Santa Claus car, quelques années auparavant, s'y était déroulé une affaire de vol pour laquelle j'avais alors enquêté.

Le lieu est un vaste trou à ciel ouvert en forme de haricot de plusieurs centaines de pieds de long, à deux niveaux. Dans les parties les plus basses, de l'eau de ruis­sellement s'est accumulée, formant un lac parsemé d'îlots, vestiges des anciens tu­mu­lus de rocher contenant le minerai. Le niveau supérieur constitue véritablement la partie active de la mine. Enfin, on regagne la surface par une haute tour en bois comportant un réseau d'échelles reliées à l'intérieur par une passerelle.

Une bonne heure s'était déjà écoulée quand nous arrivâmes devant la lourde porte béante de la mine régissant l'accès à la passerelle. Une impression de malaise pla­nait tandis que nous escaladions ces tas de roches en instance d'être triées. Une bonne centaine d'ouvriers noirâtres s'affairaient en un cortège funèbre, transba­hu­tant péniblement des blocs dans une boue fangeuse.

Parvenus auprès du cadavre, Teddy me dit :
– Pas beau, hein ? Quelle barbarie !

En effet, le ou les criminels avaient broyé les membres inférieurs du malheureux qui avait ensuite rampé essayant ultimement d'échapper à la menace : on l'avait ache­vé par un billot à travers la tête fiché ensuite en terre.

Je fus tout de suite surpris par le fait que pour manipuler un billot de cette taille, il fallait au moins être 4 ou 5, ce qui devait facilement orienter les recherches ! Par contre, le poids du billot aurait dû faire ressortir des traces de pas dans ce cloaque mais rien de tel n'était visible.

Soudain, un vacarme assourdissant nous tira de nos réflexions. Cela venait de derrière la colline. Tous les ouvriers, s'étant délestés de leur fardeau, criaient en tous sens. En un rien de temps, nous parvînmes, essoufflés, sur les lieux du si­nis­tre. Quatre nouveaux cadavres gisaient écrasés sous des blocs de roches ayant dévalé la pente.

Le directeur, hors de lui, vociférait car cela s'était produit en zone interdite. Un ou­vrier cria :
– Là ! Regardez un message tracé au sol, il a dû l'écrire avant de mourir. On pou­vait livre : « Fuyez... va tous nous tuer ».

Un bloc avait malencontreusement roulé sur le nom du criminel. En tout cas, savait-on qu'il ne s'agissait pas d'un accident. Teddy me dit :
– A mon avis, ces quatre-là ne sont pas innocents dans le meurtre précédent. Leur chef a dû vouloir se protéger et s'est débarrassé de ses complices. N'ayant plus de témoins, il est maintenant tranquille.

Je ne répondis rien, me demandant quel pouvait bien être le mobile de ces crimes. Grave en tout cas pour justifier un tel déchaînement de violence. Le danger était-il toujours présent ?

Une autre clameur retentit. Un petit noyau de mineurs haranguaient une foule de plus en plus nombreuse : « La situation est grave, déjà cinq de nos camarades sont morts et si nous restons ici, ce sera notre tour. Arrêtons le travail pour une durée qui ne prendra fin que lorsque la lumière aura été faite sur ces crimes. Que ceux qui veulent finir comme Walter restent, que les autres me suivent. Sus à la tour ! ».

Le directeur tenta en vain de s'interposer, de parler d'accident, de crime ayant des raisons externes à la mine, d'expliquer l'avertissement en disant que Walter n'avait plus toute sa raison, mais rien n'y fit.

Au cri de : « Enfoncez la porte ! Il ne nous retiendra pas de force ! », quelques ou­vriers paniqués s'emparèrent des balustrades, les transformant en béliers impro­vi­sés. Et, soudain, un craquement assourdissant de bois et de corps hurlants emplit toute la mine. Un silence glacial y succéda : la tour et la passerelle avaient cédé. Nous eûmes beau fouiller les décombres pendant longtemps, il n'y avait aucun survivant.

Réduits à trois, le directeur, Teddy et moi-même, le premier lança : « Il nous faut re­trouver ce commando de malheur qui vient de décimer tout mon effectif ! ».

Personnellement, je ne partageais pas cette opinion soupçonnant plutôt le directeur d'avoir organisé en notre présence cette tuerie dans un dessein bien déterminé... Eviter un licenciement collectif par exemple.

Regardant vers le haut de la crête, je ne vis plus le directeur ! Je me précipitai du plus vite que je pus et : « Aah !!!... ».

Je repris conscience peu à peu, encore groggy ; Teddy était là, près de moi qui me regardait incrédule :
– « J'ai eu très peur, John ! Mais je crois bien que sans moi, vous y passiez vous aussi. »

Il m'expliqua avoir retrouvé le corps du directeur enlisé dans la boue humide, comme plaqué là par quelque force venue d'en haut. Quant à moi, j'avais été ma­nifes­te­ment assommé, mais par qui ?

Recouvrant peu à peu mes esprits, force me fut de constater que nous n'étions plus que deux, que mon hypothèse sur la culpabilité du directeur était erronée et que notre peau ne valait plus guère cher. Teddy déclara :
– « Voilà la dernière manche, ce sera lui ou nous, la prochaine erreur sera fatale. »

La candeur de ce débutant faisait peine à voir. Croyant avoir affaire à ennemi à no­tre mesure, il pensait pouvoir encore lutter efficacement. Pour ma part, j'étais plus fataliste, craignant bien que tout cela nous dépasse largement.

– Tu as peur, John ?, me demanda Teddy au risque de me froisser.

Mais je fus dispensé de réponse car, soudain, une ombre gigantesque nous mas­qua le soleil. Nous fûmes arrachés du sol par un gros madrier auquel nous nous agrippions désespérément...

Et j'eus alors la vision effroyable d'une créature monstrueuse, énorme, mille fois plus grande que nous, penchée au dessus de nos têtes qui lâcha la tige d'herbe et s'éloigna à grande vitesse...

Elle venait tout simplement d'entendre : « Allons, mon chéri, viens, il est tard, assez joué, arrête d'embêter ces petites fourmis ! ».

Et la maman disparut, tenant l'enfant par la main...

Michel GRANGER & Philippe ADAMSKI

Publié in Dimanche Saône & Loire du 28 juillet 1991.
Dernière mise à jour : 30 janvier 2011.


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