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PHASE 3
Pourquoi me suis-je mis à écrire ?
Quand ? Comment ?
Me
voilà donc occupé, durant les deux mois et demi des
vacances d’été de 1960 j’avais 17 ans
et venais d’obtenir mon baccalauréat série C
mention Bien ! à écrire mon premier roman policier,
à la plume, encre noire, sur des feuilles quadrillées
volantes de cahier d’écolier.
Une intrigue mince comme une feuille de papier à cigarette,
mettant en scène un succédané du Ludovic Martel
(héros de Michel Averlant), et de Valentin Roussel, collectionneur de coups de Trafalgar,
héros de Noël Vexin, alias André
Héléna), nommé Eddie Marshall, dans une aventure
des plus mouvementées mais sans grand suspense ni
originalité.
Nuits blanches (1960)
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Michel Averlant en verso de son livre
Coup double à Cannes
(1959)
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Selon les conseils de M. Averlant (lettre du 04/03/1960) et une courte
réponse de la Librairie Gallimard, je dus donc me livrer
à une laborieuse "frappe" du manuscrit sur une antique et lourde
machine à écrire dont je ne me souviens même plus
de la provenance (peut-être un achat d’occasion chez
un antiquaire à Autun où j’étais
lycéen ?).
A noter ainsi que, dès le début de l’année 1960, donc avant le début de mon entrée en écriture,
je m’étais adressé, sans complexe, à
l’éditeur de la fameuse collection Série Noire,
Gallimard, qui publiait à l’époque Carter Brown, A.
Dominique (Le Gorille), R. May (et avait publié R.
Chandler, J. Hadley Chase, P. Cheyney, A. Le Breton, D. Goodis, etc.),
pour demander s’ils accepteraient de lire le manuscrit de cet
obscur et frais émoulu bachelier de province que
j’étais, à peine sorti de l’adolescence ! Un
culot dont encore aujourd’hui je m’étonne
grandement. D’autant que je n’avais lu à
l’époque que quatre livres de la collection.
La réponse avait été en substance : «
Nous lirons votre roman policier mais il est nécessaire
qu’il nous parvienne dactylographié en double interligne
» ; ce qui laisse supposer que j’avais dû
envisager inconsciemment un envoi du texte écrit à la
main directement à M. Marcel Duhamel en personne (!).
C’était
l’époque où les copies dactylographiées
passaient obligatoirement par le supplice des papiers carbone
placés derrière chaque feuille et dont la
lisibilité dépendait du niveau de l’impact de
la matrice de la lettre sur le papier, donc de la force du doigt sur la
touche ; d’où ma mauvaise habitude qui perdure au grand
dam de mon entourage d’une vigoureuse frappe parfaitement
injustifiée aujourd’hui à l’heure des
claviers d’ordinateurs très sensibles et ce, dès
que les machines sont passées au système «
à boule » (IBM).
Bref, je me trouvai en mesure d’envoyer mon tapuscrit original en
octobre 1960 et choisis les Editions Fleuve Noir dont je me gavais
l’intellect en cette période (51 sur 126 polars lu dans
l’année). Pas mal comme vitesse d’écriture
pour une première &#;x0153;uvre, assez courte, il est vrai.
Accusé de réception m’était fait le 10 du
mois d’octobre 1960 m’indiquant bizarrement (cf.
libellé de la réponse) qu’on ne manquerait pas de
me tenir au courant dès que le compte rendu du Comité de
Lecture serait donné.
A noter que j’avais profité de l'occasion pour demander l’adresse de « Monsieur San Antonio » !
Quinze jours plus tard, me parvenait la lettre de refus avec la fameuse formule à moi alors inconnue : « votre ouvrage, malgré ses qualités, ne peut entrer dans le cadre de nos collections actuelles » dont je ne sais si je réalisai tout de suite le formalisme et le sens parfaitement équivoque. Une formule, en tout cas, dont j’aurais longtemps le loisir de méditer le sens.
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J’ai dû, certes, accuser le coup mais cela ne semble pas
avoir encore entamé mon moral puisqu’en mars 1961,
j’envoyai mon manuscrit aux Editions Ferenczi qui me
répondirent le 1er mars qu’ils me le retournaient « n’acceptant actuellement aucun manuscrit ».
Je n’avais lu aucun titre de cet éditeur et ne sait qui
m’avait inspiré cette soumission stérile.
Il faut croire que ce premier refus me travailla tout de même
puisque dès mars 1961, ne reculant devant aucun culot, je me
fendis d’une lettre pour demander conseil au grand
Frédéric Dard. Excusez du peu.
Le contenu de ma lettre a été perdu mais la
réponse du grand écrivain, certes laconique et
circonspecte, donne une idée de ma requête.
En fait, j’avais dû ni plus ni moins lui demander
s’il pouvait lire mon premier bébé
littéraire pour me dire ce qui pouvait avoir motivé ces
deux refus. Rien que cela !
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Voilà ce qu’écrivait le fameux
Frédéric Dard à un jeune bachelier anonyme qui, du
fin fond de sa Bourgogne natale, venait sans vergogne solliciter son
avis, en date du 27 avril 1961 :
Cher Monsieur,
Hélas
il m’est impossible de lire vos manuscrits présentement
car je dois partir pour l’étranger.
Adressez-les à mon éditeur directement. Il a un service de lecture fort bien fait.
Evidemment cela prend du temps car les éditeurs reçoivent
beaucoup d’envois, mais vous pouvez espérer un
résultat.
Croyez cher Monsieur à mes bons sentiments.
C’était
bien le service minimum consenti par le jeune prodige écrivain
(Frédéric Dard avait 40 ans) qui deviendrait celui que
l’on connaît et qui avait déjà à son
actif une quarantaine d’aventures du fameux Commissaire San
Antonio (15 lus en 1960 et notés « bons à très bons »)
sans compter tous les titres parus antérieurement sous des
pseudonymes. Trois histoires signées F. Dard au Fleuve Noir
m’avaient littéralement subjugué : C’est toi le venin et Cette mort dont tu parlais et La Dynamite est bonne à boire.
Mais j’avais aussi fort apprécié un autre auteur du
Fleuve : André Lay dont certains titres m’avaient
franchement emballé. Aussi, je lui écrivis à une
date indéterminée (copie de lettre non gardée),
probablement aussi au printemps de 1961.
Sa réponse, signée André Boulay, son vrai nom, fut
beaucoup plus chaleureuse puisqu’en date du 19 avril 1961, il
acceptait de lire mon manuscrit et déjà
m’interpellait en tant que : « Mon vieux ! ».
Il faut croire que j’avais dû être très
convaincant dans mon désarroi. Bizarrement, et je ne me souviens
pas pourquoi, j’avais choisi comme pseudonyme le nom d’un
copain pour cette correspondance !
Mon vieux,
Si
le retour d’un manuscrit catastrophait un auteur au point de
l’empêcher d’écrire, il n’y aurait plus
un roman en librairie depuis longtemps. Cette désillusion arrive
à tous. Abandonner parce qu’un éditeur ne trouve
pas un ouvrage à son goût, c’est renoncer à
l’amour, parce qu’une fille ne veut pas sourire.
Ceci dit, ce refus ne prouve pas que ton roman est impubliable
(envoie-le à une autre édition). Ce qui ne convient pas
à une collection peut, cela arrive souvent, trouver bon accueil
dans une autre.
Néanmoins, ne te fais pas d’illusion, ce métier est
terriblement ingrat (tu commences à la savoir). Surtout, il
demande un long et pénible apprentissage. Il ne suffit pas de
pondre 250 pages, pour du jour au lendemain devenir romancier
à part entière. De plus un roman ne se refait pas, il est
bon ou mauvais et en général le premier&#;x2026;
Le mien est encore dans mes tiroirs en compagnie des deuxième et
troisième. J’écrivais le septième
lorsqu’un éditeur décida de publier le
quatrième. Il faut une dizaine d’ouvrages pour trouver son
style.
Ta détresse est sympathique, pourtant si tu ne te sens pas
capable d’écrire pour le plaisir pendant quelques temps,
et tu parles d’abandonner au premier échec, jette ta plume.
Je veux bien lire ton manuscrit, mais n’attends pas des miracles,
je suis certain que comme tous, à nos débuts, tu as trop
« chargé » ; je suis comme les éditeurs, je
peux me tromper.
Amicalement.
André Lay, mon
premier lecteur
Imaginez
l’effet qu’a pu produire sur moi cette lettre
réconfortante, réaliste et quasi paternelle. Et, la
seconde un mois plus tard, après lecture de mon manuscrit !
Saint-Maur, le 18 mai 1961
Cher Vieux,
Des monceaux de cadavres, des poursuites en autos, une droguée,
un superman, une fille prompte à poser le jupon etc. ; rien ne
manque. Inutile de prévenir le lecteur que les personnages
sont fictifs, il s’en rend vite compte.
Ceci dit, lorsque tu te seras débarrassé des
poétiques S’PAS et AMUSANT NON, ton style prometteur,
ne sera pas loin d’être bon.
Tes défauts, sont des défauts de jeunesse et c’est
plutôt sympathique. Ils passeront seuls et trop rapidement,
crois-moi.
Maintenant puisque tu as l’intention d’écrire un
roman pendant les vacances, je te conseille vivement de lire
quelques œuvres de F. DARD, Le Pain des fossoyeurs, Le Monte-Charge ou si tu préfères A. LAY, Au bout de la nuit, Jusqu’au bout de la chance. Tu comprendras que l’on peut respecter l’esprit policier sans tuer et se battre à chaque page.
Il serait dommage que les auteurs appelés à nous
succéder écrivent comme nos
prédécesseurs, (à la mitraillette de
fabrication américaine).
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André Boulay en 1965
Dos des Loups et le renard
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Appuis-toi, sur les œuvres citées pour penser ton second roman, tu as le temps.
Ne désespère pas, écrire un roman policier
à 18 ans est un exploit. Compte tenu de ton âge, de ton
inexpérience, tu as fait un grand pas, le plus
pénible, te mesurer à l’inconnu et foncer.
Tes chances grandiront au fur et à mesure que le métier rentrera.
Amicalement.
PS Ne tape pas recto-verso, et il est inutile de laisser trois interlignes, un seul suffit.
Je
m’empressai de suivre ces conseils et lut les livres
indiqués : les deux Dard, notés
respectivement 3,5 (plus que moyen) et 4 (bon) et les
deux Lay, notés 4 (bon) et 3 (moyen).
Certes dans Le Monte-charge
de F. Dard, un roman intimiste comme les siens de cette
l’époque, il n’y a qu’un mort, à savoir
le mari violent d’une jeune femme qu’elle a
décidé de tuer en se procurant un solide alibi par
personne interposée. Or voilà qu’en « racolant »
(terme utilisé par l’auteur) ce témoin
destiné à la disculper vis-à-vis de la police,
elle tombe sur un individu (le narrateur) récemment sorti de
prison où il purgeait une peine pour le meurtre de sa
maîtresse !
Du coup, elle doit choisir un autre témoin en vitesse (à
la messe de minuit de Noël !) car son mari a été
exécuté en préalable et son cadavre ne souffre pas
de stagner ainsi.
Une belle idée mais une histoire malheureusement fort peu
vraisemblable comme beaucoup chez F. Dard même si la fin est
aussi sublime.
Le titre Jusqu'au bout de la chance d'A. Lay met en
scène un voleur de voitures qui, en convoyant le fruit d'un de
ses méfaits à Montargis depuis Paris, est le
témoin d'un accident routier : une voiture qui percute
violemment un arbre. Le conducteur éjecté et tué
sur le coup est un agent d'assurance ; dans sa serviette, le voleur
trouve une police qui interdit le versement du capital à la
femme d'un entrepreneur de matériaux de construction de Nemours
si la mort de ce dernier survient au cours d'un accident.
Ainsi,
profitant de la chance qui semble lui faire signe, le voleur
s’empare de la serviette et va se rendre chez
l’assuré pour se faire embaucher. Il occupe tout
d’abord les tâches manuelles les plus dures mais profite
d’une autre opportunité pour devenir le bras droit du
patron qui lui confie qu’il craint que sa femme, 20 ans plus
jeune que lui, le supprime.
En fait, un soir le patron meurt avec un petit coup de pouce de son
nouveau protégé. Celui-ci croit à nouveau saisir
sa chance en maquillant une mort apparemment naturelle en accident pour
faire chanter la femme après avoir sorti les avenants à
la prime d’assurance vie. Il veut partager le magot.
Mais voilà que la chance l’abandonne en particulier quand
lui-même est la victime du vol de sa voiture et se voit
accusé d’avoir provoqué la mort de son patron en
privant celui-ci de sa dose de digitaline qu’il prenait en cas de
crises : tout cela parce qu’il croyait la drogue surdosée
par sa femme alors qu’il n’en était rien.
Une jolie parabole, en effet, et une histoire magnifiquement
conçue comme savait si bien les raconter André Boulay.
Pour ce qui est de penser mon deuxième roman, j’avais
certes le temps mais il était déjà bien
avancé puisque le 31 juillet (12 mois pour la rédaction
de deux premiers romans, c’était pas mal ?), le Fleuve
Noir m’en accusait réception avant de le soumettre au
comité de lecture. Son titre : Sueurs froides. Il portait désormais tous mes espoirs.
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