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Michel Granger
Une biographie littéraire
Va-t-il quand même sortir une arme de sa poche ?
Michel GrangerPHASE 2

Une vision "ablutionniste" de livres !

C'est un souvenir qui me reste chevillé à l'âme : il date d'avant mon entrée au collège en classe de sixième, c'est-à-dire d'avant 1954.

Le jeudi (date de la pause hebdomadaire scolaire), une fois tous les mois environ, mon père nous emmenait, ma mère et moi, en Traction (9 CV Citroën) au Creusot, ville voisine de La Tagnière : 25 km, route en méandres avec des centaines de virages ! Pour rendre visite, 32, rue du 4 Septembre (anciennement rue de la Chapelle, dans les années 1930), à mon grand-père, Electa Vernet (1878-1957), ancien instituteur, retraité et veuf (je n'ai pas connu ma grand-mère maternelle, Louise), grand lecteur de livres d'aventures et surtout… de romans policiers.

Et devinez où il entreposait tout cela. En vrac, dans sa baignoire !

Ainsi, je revois ma mère puiser dans cette bibliothèque improvisée un lot de livres dont certains étaient manifestement d'occasion (achetés sur le marché de la ville ?) que nous ramenions dans un sac à La Tagnière où elle les lisait. Quant à moi, j'ai un souvenir très ténu de ce qu'elle m'a autorisé à en lire quelques-uns mais sans pouvoir en préciser la date, ni lesquels. Peut-être me suis-je servi tout seul ?

Je ne peux dire quel titre ainsi a été mon premier livre policier lu ; le premier de ma liste de lecture que je tiens depuis 1960 dans deux cahiers à spirales 21 x 29,7 cm, est daté de 1957 ; il s'agit du Drame de Ravensdene, de J. S. Fletcher, devenu un de mes auteurs préféré, sinon le premier.

C'est donc de cette manière peu orthodoxe que j'ai découvert les premiers Masques édités par la Librairie des Champs-Elysées avec, en 1957 (une quarantaine de titres lus), des auteurs comme : Agatha Christie, Peter Cheyney, Leonard Gribble, Philip Oppenheim, Stanislas André Steeman, Pierre Véry, Valentin Williams, etc. Ma meilleure cote cette année-là est allée à L'Assassin habite au 21 de S. A. Steeman (seulement dépassé, pour moi, par un livre de P. Siniac !) et La Porte interdite de Georges-Marie Bernanose.

Déjà se dessinait ma préférence pour les auteurs francophones.

Des Masques mais aussi quelques Série Noire dont le mythique La Môme vert de gris, lu en 1958, et quelques isolés des collections A ne pas lire la Nuit (Editions de France, aux couvertures mythiques dont le contenu ne méritait aucunement un tel avertissement), Police Secours, des Editions R. Simon, et un Enigma de Bernardin-Béchet (1932-33), plus un L'Enigme chez Hachette (1940-1950) qui m'enchantèrent quelques heures...

Ajoutons à cela quelques Arsène Lupin et Rouletabille de Leblanc et Leroux chez Pierre Lafitte et Cie à couverture rouge qui avaient surnagé de la baignoire de mon grand-père !

Mais j'allais bientôt m'approvisionner moi-même. Début 1958, pendant les périodes autorisées de sortie de l'internat (jeudis après-midi), j'avais pris les choses en main en me rendant chez un bouquiniste autunois pour y acheter mes propres "occasions" et j'ai le souvenir d'être allé m'y approvisionner – Le Grenier, M. Comode (sic), 2, Grande-Rue-Chauchien – avec une vieille valise (atavisme ?) que je ramenais pleine à craquer : les La Chouette, à cette époque, se vendaient d'occasion à 0,30 à 0,50 centimes d'anciens francs si bien que je pouvais en faire une large provision.

Dans l'année, je n'en ai lu qu'une demi-douzaine, mais il semble que déjà un certain héros, Ludovic Martel, m'avait conquis, ses aventures étant racontées par Michel Averlant.

1959 a été mon année La Chouette : 35 titres lus à cette époque avec la découverte du Baron de A. Norton (alias John Creasey), de H de Bruno Bax (alias Geneviève Manceron), de L'Epervier, de Piguet, de Noël Vexin, et d'un B. Cheyenne coté 1, c'est-à-dire mauvais ! J'ai révisé mon appréciation depuis.

A cette époque, j'ai acheté aussi des livres neufs, exclusivement des La Chouette/Ditis, vendus en grandes surfaces : au Prisunic de la place du Champ de Mars, à Autun, en l'occurrence.

Bizarrement, j'ai noté comme lus en 1960 les premiers André Héléna : Peinture au couteau et Le cheval d'Espagne.
Mais il y a là une erreur puisque dès fin 1959 j'avais déjà écrit à cet auteur pour lui demander conseil…

C'est là aussi – au Grenier – que j'ai acheté mes premiers Fleuve Noir en 1960 dont deux auteurs m'ont aussitôt marqué : Frédéric Dard avec : Délivrez-nous du mal, Cette Mort dont tu parlais, C'est toi le venin, La Dynamite est bonne à boire… qui m'ont enthousiasmé (Dard fut aussi un de mes auteurs préférés), et André Héléna, alias Noël Vexin.

A cette date, semble-t-il, s'en vint éclore dans l'esprit d'adolescent que j'étais l'envie d'inventer et raconter mes propres histoires. Présomptueux, je l'étais certainement, mais je m'en sentais déjà capable même si, au fond de moi, j'y voyais aussi quelque intérêt alimentaire, pas pour couper ma faim (exacerbée par les vilaines habitudes de la cantine de l'internat s'apparentant au bizutage – déjà !), mais pour une raison qui est celle, diffuse, que je tente d'expliciter ici.

Premières velléités d'écriture

Celles-ci se sont manifestées en 1959 et comme, bizarrement, je n'étais pas assez fou pour me lancer sans quelques préalables, je me suis fendu en fin de cette année-là de :

• quelques lettres à éditeurs auxquels je n'hésitais pas à solliciter quelques "tuyaux" ; voici leurs réponses :

 

En fait, elles répondaient poliment à mes lettres certainement écrites à la plume et me demandaient de passer à l'acte, ce que, surtout, j'ai retenu.

• et, plus téméraire, de deux lettres à mes auteurs préférés (pratique impensable dans ma famille !) : Michel Averlant et André Héléna dont voici les réponses qui me parvinrent au printemps 1960.

Michel Averlant (encore vivant en 2012) :

« 4. 3. 60
Mon cher ami,
Vous devez me juger très mal. Mais je ne suis pas entièrement coupable : absent de Paris depuis plusieurs mois, ce n'est qu'avant-hier que j'ai trouvé votre lettre chez moi.
Peut-être avez-vous déjà trouvé les réponses aux questions que vous me posiez… Mais voici quand même les conseils que je peux vous donner :
Ecrivez votre roman, tapez-le à la machine (c'est très important, aucun éditeur ne lira un texte écrit à la main), gardez-en précieusement au moins un exemplaire et envoyez votre texte à l'éditeur qui vous semble le mieux convenir pour le genre de votre roman.
Ensuite… armez-vous de patience. Et si votre texte est refusé, ne vous découragez pas. Essayez un autre éditeur.
En ce qui concerne les questions "finances", je ne sais pas du tout que vous dire. Les écrivains touchent un pourcentage (entre 5 et 12 %) sur le prix des exemplaires vendus. Tout dépend donc du tirage… et des ventes. Si votre manuscrit est accepté, vous rapportera-t-il 50.000 francs ? ou 500.000 ? Je n'en sais vraiment rien.
Je crois que j'ai à peu près répondu à toutes vos questions. Mais si vous désiriez d'autres précisions, n'hésitez pas à m'écrire de nouveau.
Croyez à toute ma sympathie.
Michel Averlant. »


André Héléna (1919-1973) :
« 30. 3. 60
Cher monsieur,
En classant des papiers je retrouve votre lettre. Je vous avoue que je ne me souviens pas d'y avoir répondu. On mène ici une vie tellement absurde !
Eh bien ! si vous avez terminé votre livre tout est très simple, vous n'avez qu'à l'expédier, recommandé – gardez-en le double, - aux éditions Ditis.
Patientez quelque temps et, de toutes manières, le directeur littéraire vous écrira. Il n'y a pas d'autres formalités.
Quant aux avantages, s'ils sont multiples, je vous engage cependant, – et vous allez penser que je parle comme vos parents, – à avoir un métier principal ou secondaire, comme il vous plaira, mais en tout cas une autre activité. Moi, si je n'avais pas le cinéma et la radio… Il est vrai que ce sont des professions où l'on dépense tellement d'argent.
Mais croyez-moi, avant d'apprendre la vie d'aventures, qui est nécessaire, et pour laquelle vous me paraissez un peu jeune, – et que donnerais-je pour l'être comme vous ! Il faut travailler, bûcher. Vous ne pouvez savoir, pour si paradoxal que cela paraisse, à quel point la connaissance du latin favorise celle de l'argot.
Si vous venez à Paris venez me voir, mais écrivez-moi auparavant.
Cordialement vôtre.
André Héléna. »

A l'été 1960 (et réservant mes commentaires sur ces deux missives), dès le début des vacances, j'étais ainsi fin prêt pour écrire mon premier livre policier. Son titre : Nuits blanches.


INTRODUCTION
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PHASE 1