icône home © Michel Moutet, 2012
INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

L'espoir d'un vieux monsieur

– Monsieur, on vous demande sur la ligne extérieure.

Le ministre de la Recherche biologique du regroupement planétaire Catlox leva les yeux des rapports posés sur le bureau. Il était, certes, une personnalité politique, mais aussi un savant reconnu par tous ses pairs.
Son passage, dans le Centre d'expérimentation de cette planète de l'empire Catlox, lui avait permis de découvrir de nouvelles variétés végétales et animales. Au vu des premières analyses, il n'avait pas su résister au plaisir de renouer avec les premières recherches de sa jeunesse.

– Qui peut bien vouloir me joindre à travers l'espace ?

Il se retira dans la pièce aménagée pour la durée de son séjour. Le dos voûté par les années ou plutôt les siècles, il ressemblait de plus en plus à un géronte chenu. Il s'écroula plus qu'il ne s'assit dans le fauteuil. Mais ses facultés intellectuelles étaient intactes. La baie vitrée donnait sur une vaste étendue océanique. Il aimait bien cette planète et encore plus l'aménagement du Centre. Les bâtiments étaient regroupés sur l'une des îles les plus vastes qui existât, presqu’un continent.

D'une pression appropriée, il stabilisa l'état cristallin de la baie, laquelle s'opacifia, autorisant la communication.
Au centre de la pièce sombre apparut un bureau presque identique au sien. La projection holographique d'abord médiocre se précisa. Les cinq minutes de réglage provoquèrent l'impatience de son interlocuteur. Quand tout fut correct, la transmis­sion sonore put s'opérer.

– Alors vieux fou, que mijotez-vous sur votre planète loin de tous les distributeurs de S'fir ?

Le vieux monsieur sourit ; son ancien élève avait coutume, depuis qu'il était devenu son supérieur, de le taquiner au sujet d'un de ses vieux démons.

– Oh, j'ai trouvé mieux que le S'fir, la fermentation... Il se reprit :

– J'espère que vous ne m'avez pas dérangé pour me parler de S'fir.

– Non, une mauvaise nouvelle : vous allez devoir rentrer plus tôt que prévu. La der­niè­re réunion du conseil du directoire planétaire Catlox a fait apparaître des dis­sensions au sujet de votre budget.

La stupeur, l'incrédulité, puis la tristesse, se peignirent sur le visage du vieux sa­vant.

– Je croyais que le budget de la recherche biologique avait été fixé une fois pour toute pour la décennie à venir.

– Oui, mais vous savez, la situation a changé, la guerre a éclaté et tous les ministères ont dû subir des restrictions budgétaires. J'ai pu obtenir que l'on renvoie la discussion du vôtre à la prochaine séance. Il vous faut absolument venir.

Il avait déjà subi des revers en tant qu'homme politique, surtout lui, le savant toujours éloigné des considérations matérielles et stratégiques. Mais là, c'en était trop.

– D'accord... j'y vais.

La communication fut interrompue sans autre forme de politesse qu'un sourire fatigué. La lumière rasante du soleil couchant projetait l'ombre des pins parasols qui bordaient la crypte océanique. Il s'approcha de la porte donnant sur l'extérieur ; elle s'effaça automatiquement. Quelques pas sur ce monde qui n'était pas le sien. Ses pieds s'enfoncèrent légèrement dans le sable. Une petite brise chaude de fin d'après-midi l'enveloppa de l'odeur salée de la mer.

Les travaux entrepris sur cette planète avaient une importance bien plus grande qu'il ne l'avait divulgué aux membres du conseil. C'était beaucoup plus qu'une simple étude de faune et de flore inattendues. Non, en fait, cette planète était sans égale. Ses richesses minières très importantes et les métaux les plus rares présents. La vie avait commencé à se développer et, selon toute évidence, serait virulente, donnant sans doute naissance à une intelligence primitive dans quelques milliers d'années. Mais la guerre opposait les empires entre eux... Le futur pro­metteur ici-bas n'avait aucune chance d'éclore ; sauf si...

Lui que tout le monde croyait perdu dans ses rêves scientistes, avait pris une dé­cision audacieuse. Ses élèves les plus brillants réunis, il leur avait exposé son projet. Une vingtaine avaient été conquis, se faisant fort de convaincre à leur tour des amis...

En moins d'un an un groupe de deux cents individus était prêts à se sacrifier pour cette planète. Un grand complexe d'habitations et un ensemble de laboratoires furent aménagés. Tout était en place pour la survie du groupe. Mais une grande partie des fonds accordés était épuisée. S'il ne faisait rien, on risquait le pire.

Sans attendre, il rejoignit le transporteur en orbite. Au moment du départ, son der­nier regard fut pour l'île puis la planète qu'il espérait sauver... Le vaisseau accéléra, le voyage serait long.

Face à la console de communication extérieure, il se connecta aux mémoires centrales du gouvernement catloxien. Après identification, il eut accès à son mo­dule personnel ; l'un des étudiants les plus doués en informatique lui avait fait ca­deau d'un programme spécial apte à rendre son espoir réalisable.

Les codes d'accès du ministère au programme indiqués, il définit les différents pa­ra­mètres : deux heures seraient suffisantes pour effacer toutes les données con­cernant l'endroit qu’il voulait protéger.

Il s'allongea sur sa couchette. Seule la lueur de l'écran éclairait la pièce. Au bout de deux heures, le vieux monsieur dormait encore et sur l'écran clignotait toujours les mêmes mots :

Planète Terre
Base Atlantide
... destruction des données en
cours

Michel GRANGER & Pierre YAILIAN

Publié in Le Courrier de Saône & Loire Dimanche du 30 décembre 1990.
Dernière mise à jour : 14 mars 2011.


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