L'écureuil

Depuis plusieurs jours, des cauchemars horribles hantaient son repos. Il avait le pressentiment qu’on allait l’abattre. Il avait été désigné pour mourir. Ses tortionnaires allaient l’écarteler et lui casser les membres après les lui avoir arrachés un à un. Il voyait d’énormes machines le broyer et une autre vie s’ouvrir vers l’au-delà. Une vie d’esclavage que le destin lui prodiguerait où bon lui semblerait.

Il devinait qu’il ne connaîtrait plus la bourrasque et la pluie et que la neige froide ne serait plus qu’un linceul pour un lointain avenir. Pourtant il se sentait encore fort et puissant, gonflé de vie, capable de vivre longtemps. Et ses rêves ne mentaient pas. Ils ne lui avaient jamais menti. Une dernière fois, il contempla les étoiles. Il savait qu’aucun espoir n’était plus permis et que la nuit touchait à sa fin.

Quand l’homme s’approcha, il comprit que l’heure était venue. Aucune tentative de dérobade, ni la moindre contraction, histoire de se faire noueux et dur comme un roc. Cet être, venu à la vie bien après lui, cet être fragile, ignare et aveugle, avait d’ailleurs son pardon…

Quand la cognée frappa, il n’y eut pas de cris. Ses feuilles tremblèrent un peu en lais­sant échapper un curieux chuchotement. C’était le vent qui lui donnait une der­nière caresse.

Deux vieux amis se quittaient. La sève coula comme du sang. La terre la recueillit pieusement. La hache s’acharna de plus en plus fort et l’arbre s’abattit majes­tueu­se­ment, non sans avoir hésité un temps, pour que l’écureuil qui habitait dans un trou de son tronc ait le temps de s’échapper.

© Michel Moutet, 2014