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INTRODUCTION
I
SOMMAIRES

Le chat

Catherine trouvait son appartement bien grand depuis la disparition de son mari. La chambre d'amis ne servait presque plus et la salle de travail sentait le renfermé. Les livres techniques, bien empilés dans la bibliothèque, s'endormaient sans espoir d'être lus.

Heureusement il y avait Youki, son gros chat noir aux yeux d'un vert tendre, qui lui tenait compagnie ; il l'empêchait de trop songer à sa solitude toute fraîche. Youki avait droit à tous les égards, à tous les soins, à toutes les attentions. Nulle mal­hon­nête puce ne s'était jamais aventurée au sein de son pelage brillant et le mou dont il raffolait était toujours de première qualité. Depuis son malheur, Youki était là...

Catherine l'avait trouvé le jour même où son mari n'était pas rentré à la maison. Il avait fait entendre un drôle de miaulement devant sa porte. Elle lui avait ouvert et il était aussitôt venu se frotter dans ses jambes comme s'il la connaissait depuis longtemps. Puis elle avait pleuré durant la longue attente qui l'avait menée jusqu'au petit matin, exténuée et terriblement inquiète. Youki lui avait été d'un grand soutien. Il la regardait tendrement et sa présence ronronnante avait eu un effet salutaire.

Les recherches étaient demeurées vaines et personne n'avait revu son mari Jean. Certains avaient émis l'hypothèse qu'il s'était suicidé en se jetant dans le Saint-Lau­rent, car la dernière fois où il était apparu, c'était aux abords du pont Jacques-Car­tier. De plus, ces derniers temps, il avait travaillé comme un forcené mais la mal­chance le poursuivait et il avait essuyé échecs sur échecs. D'autres, beaucoup moins pessimistes mais incorrigibles mauvaises langues, arguaient que Jean était travaillé par le démon de midi et qu'il avait tout simplement fait une fugue un peu lon­gue, histoire d'oublier, pour un temps, une femme un peu trop exclusive.
Toujours est-il que Jean ne reparut pas…

Youki se sentait heureux, plus heureux même depuis qu'il était un chat. Bien sûr, les premiers temps, cela avait été plutôt difficile de s'habituer à voir le monde du bas, à moins d'un pied de haut. La perspective n'était plus la même. Et puis aussi le mou et les aliments pour chat avaient un drôle de goût... Enfin il y avait eu Ca­the­rine, constamment en pleurs, incapable de s'arracher à une attente qui ne rimait plus à rien.

Il avait bien failli céder et revenir mais, heureusement, il avait malgré tout tenu le coup. Maintenant que tout était passé, il ne regrettait rien. Tout le jour, il paressait nonchalamment et son seul désir, son unique intérêt, était de manger à heures ré­gulières. A vrai dire, cela lui posait quand même un problème car son ancienne nature d'homme subsistait. Souvent il mettait les pattes dans le plat pour manger tant il avait du mal à ne pas porter la nourriture à sa bouche et à se servir uni­quement de sa langue. D'étranges sensations montaient en lui comme le besoin de lisser son poil quand celui-ci était terni. Parfois, Catherine le grondait quand il ren­versait son lait mais que pouvait-il y faire ? Il avait toujours eu le lait en horreur ! Youki, cependant, ne lui en voulait pas ; comment aurait-elle pu comprendre ?

Youki savait miauler correctement maintenant et même de façon plaisante. Il lui ar­ri­vait aussi de descendre de temps en temps, en cachette, dans la cave pour courir après les souris. C'était si drôle de jouer comme un petit fou à 45 ans !

Quand il était fatigué, il revenait au salon, près du poêle qui ronflait. Et il s'allongeait pour ronronner et rêver...

Michel GRANGER

Inédit.
Dernière mise à jour : 23 décembre 2010.


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